Et pourtant Toulouse sait mentir, tricher, cacher la vérité !
La Salope !
Depuis le printemps 2024 et jusqu'en janvier 2025 ont lieu deux importantes expositions au musée Saint-Raymond et aux Jacobins sur le catharisme d'une part et à la Bibliothèque Municipale de Toulouse sur les Troubadours et "Lo Gai Saber" d'autre part (cette dernière étant terminée).
Or une controverse agite les milieux historiques sur le catharisme occitan et sur la société médiévale d’Occitanie. On assiste à une bataille "des anciens et des modernes" depuis quelques années : les premiers ont pour nombre d'entre eux passé leur vie à travailler "sur le terrain" et sur les diverses sources écrites et archéologiques pour restituer le drame vécu par les populations du comté de Toulouse aux XIIIe et XIVe siècles, tandis que les seconds déconstruisent, semble-t-il, tout le travail de mémoire de leurs prédécesseurs.
Alors pour en sortir, il faut souhaiter qu'un colloque sur ces questions réunisse les deux parties, où chacun apportera ses sources...
En attendant voici le "coup de gueule" de Jean Thomas, professeur, sur les deux expositions toulousaines.
Bonne lecture.
Jòrdi Labouysse
Jean THOMAS, retraité
Ancien professeur à l'École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE)-Université de Toulouse-Jean Jaurès.
Réflexions et « coup de gueule » à propos des expositions sur les Troubadours et les Cathares à Toulouse
en cette année 2024
Toulouse — New York — Johannesburg
T’as trouvé le point commun ?
Il y en a un, cherchez bien. C’est pourtant simple. En République Sud-Africaine, aux USA, et dans tant d’autres lieux de la planète la discrimination est ou a été LA LOI. Les blancs d’un côté, les noirs de l’autre.
À Toulouse c’est la même chose, situation identique de ségrégation raciale. Pourtant personne ne dit rien. Oh là ! Les blancs et les noirs partagent le même métro, le même trottoir, le même bar, la même école, etc. Certes ! Mais la ségrégation à Toulouse est encore plus forte car elle est plus insidieuse ! Elle se cache dans les lieux culturels qui se veulent être les plus ouverts, les plus courus, les plus fréquentés, les plus branchés.
Ô Toulouse ! Ò Tolosa ! Toulouse la salope ! Aurait chanté Nougaro. Une Toulouse fausse, prostituée ; une Toulouse mensongère.
Toulouse, Tolosa, qu’es aquò ? Toulouse capitale d’un Royaume culturel, d’un Empire du bel canto, de la musique, de la poésie, de la peinture, de la photo, de tous les arts, artistes, artisans, conquérants de l’espace, gigantesque abri des émigrés. Toulouse capitale rayonnante à travers le monde.
Et pourtant Toulouse sait mentir, tricher, cacher la vérité ! La Salope !
Nous sommes allés, plusieurs fois, voir les expos sur les troubadours à la BM de la rue du Périgord, cette magnifique et grande et belle bibliothèque, si riche de notre passé littéraire et linguistique. Admirable vieille dame ! Les amis qui m’accompagnaient, catalans, américains et autrichiens furent plus surpris que moi de ne point voir un seul poème de trobador ou de trobairitz sur les murs ! On dirait que la poésie des troubadours/trobairitz n’a finalement pas vraiment existé puisque l’on ne peut même pas en lire un texte qui aurait pu être projeté ! Rien, le néant, l’absence de texte nous met dans un émoi, une incertitude, une inquiétude, un vide presque sidéral. Rien, un rien qui nous étouffe ! Est-ce une absence par manque de moyens, par manque d’espace, par manque de temps, par un manque de manque ? Pourtant l’Occitanie ne manque pas de spécialistes de la littérature médiévale. L’Université de Toulouse regorge de compétences, celle de Montpellier aussi, comme celle de Bordeaux ou d’Aix-en–Provence ou de Rome ou de Munich ou de Santiago de Compostella, ou de ….
Enfin que signifie cette absence de texte alors que de nombreux manuscrits sont présentés au public, des œuvres extraordinaires que nous ne reverrons pas mais qui éclipsent complètement la présence des troubadours en Europe ; parce qu’ils ont commencé la construction de l’Europe. Leurs textes ne sont, hélas, pas sur les murs de la BM, ils sont absents. Aucune carte qui aurait pu montrer l’influence des troubadours sur la poésie en Europe. Faut-il que l’Occitanie et/ou la production extraordinaire des troubadours n’apparaissent pas ? Est-ce un mouvement minoritaire ? Ne parlons pas des genres littéraires que les Troubadours ont su développer bien avant les autres. C’est une autre absence de l’expo. Dommage. Les Toulousains n’ont plus accès à leur culture. Il y a des vides qui ressemblent à des re-écritures de l’histoire. Une autre absence est celle des femmes qui écrivirent. Pas grave, il n’y a aucun chiffre sur la production et les producteurs/auteurs ; chiffres pourtant bien connus. Aucun lien n’est fait avec les troubadours d’aujourd’hui, ni même avec la production littéraire des troubadours ou sur les troubadours et les études de littérature médiévale. Rien !
Quelques panneaux présentent la langue occitane dans la mouvance des Jeux floraux. Hélas aucun ne dit que nous sommes les premiers en matière de description linguistique ! Les premières grammaires sont occitanes, pas françaises ou belges, nom de dieu !
Pourquoi de telles absences ? Pourquoi de tels silences ? Pourquoi de tels vides ? S’agit-il d’incompétences ou de malhonnêteté intellectuelle ou de manœuvre politique ? Ou tout simplement s’agit-il d’une crainte de reconnaître la vérité, la richesse de la culture occitane.
Après la BM, St Raymond et les Jacobins qui abritent une remarquable exposition sur cathares, catharisme et Toulouse sous la croisade.
C’est la grosse question que pose l’expo qui suit sur Toulouse pendant la Croisade. « Les cathares ont-ils existé ? » La question me fait pleurer ! Faudrait-il en cramer encore quelques milliers pour qu’ils aient existé ?
Les cathares, les BonsHommes, appelez-les comme vous voudrez, ont été massacrés, torturés et brulés par milliers ! Tant de villages, de villes ont été pillées, rasées, brulées que l’on ne peut pas se poser cette question sans passer pour un con. Oui les Cathares ont existé, leurs dépositions sont dans les registres de l’inquisition et elles ont été obtenues sous la torture, ils ont été massacrés comme plus tard les soldats SS massacreront les gens d’Oradour-sur-Glane ou d’ailleurs, comme les soldats français massacreront les paysans d’Algérie ou d’ailleurs.
Alors, oui, on peut toujours épiloguer sur le nom de ces Bonshommes et Bonnes Dames, cathares, patarins et patin et couffin. S’il faut perdre du temps, noyer le poisson, continuons à couper les poils en quatre.
Et la croisade fut ! Mais rien ne nous dit les intérêts politiques de cette croisade. Pourquoi ne pas dire que le roi de France avait besoin de mater ce grand mouvement politique à l’italienne qui libérait les villes et les villages du joug féodal en instituant des libertés communales, création de consulats. Dès 1189, 600 ans avant la Révolution française, Toulouse s’affranchit et vit politiquement autonome. C’est le cas de toutes les villes même les plus petites communautés. Pourquoi ne pas dire que le roi veut accéder à la Méditerranée pour lancer de nouvelles conquêtes ? Et dire que sans cet accès à la Mar Nòstra peut-être que le Proche-orient ne serait pas celui d’aujourd’hui car le colonialisme accompagné de sa haine ne l’aurait pas pénétré.
Une grosse part de l’exposition se trouve au réfectoire des Jacobins, dans le lieu par excellence des Dominicains (domini canes) qui organisèrent la répression des chrétiens nommés BonsHommes. Superbe exposition avec la Bible dite de Lyon et combien de précieux manuscrits. Mais une absence résonne fortement en ces murs ; celle de nos spécialistes de la Croisade, Anne Brenon, Philippe Martel, etc. Très peu de choses sur la littérature de Joseph Anglade et de tant d’autres universitaires. C’est curieux et glaçant, ce silence !
Quant à la Ste Inquisition elle est abordée d’une façon à rassurer le passant ! On apprend que ceux qui furent pourchassés par l’Inquisition déposèrent devant le tribunal inquisitorial. Leurs dépositions ont été transcrites et l’on peut douter de la fiabilité, remettre en question, etc. Toujours le doute... surtout s’ils n’avaient pas existé ! Mais très peu de choses sur les buchers (400 personnes brulées vives à Lavaur, par exemple ; certainement le plus grand bucher de l’histoire). Alors que l’Inquisition déterrait les cadavres pour les bruler et jeter les cendres au vent afin que le jour de la résurrection ils ne puissent pas renaître ! Rien sur les tortures employées pour faire parler les gens. Rien sur les spoliations de biens qui menèrent le pays toulousain à la ruine économique, à la déstructuration sociale, économique et culturelle jusqu’à la création des Bastides. Rien sur la peur, la délation et les crimes que l’Église catholique et le roi de France ont perpétré contre les gens d’ici !
La dernière « station » de l’expo aux Jacobins est concluante : c’est l’exposition d’une croix ! La croix du Salut, je suppose ; ou de la rédemption. Bref on est chez les Dominicains, tout ne pouvait pas être dit en ces lieux.
Jean THOMAS Novembre 2024