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Éditorial en Français du numéro 132 de la revue Lo Lugarn par Jean-Pierre Hilaire

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À propos de l’ « archipélisation » de la France

 

La France est-elle encore une république « une et indivisible » ? Trois livres récents invitent à se poser la question : la France périphérique [1] de Christophe Guilluy, Bloc contre bloc, la dynamique du macronisme ([2]) de Jérôme Sainte-Marie et L’archipel français ([3]) de Jérôme Fourquet.

Mais avant de répondre, il est nécessaire de rappeler la véritable histoire de France, pas le « roman national français » qui, comme son nom l’indique, relève de la fiction d’une France éternelle et incréée.

C’est l’histoire d’une construction artificielle qui, par le jeu des alliances et surtout par la force militaire, a intégré des peuples de langues, de cultures et d’histoires différentes qui, pour leur malheur, étaient géographiquement proches de ce qui n’était au départ qu’un modeste royaume en « Île de France ».

Par une politique systématique de conquêtes territoriales des souverains qui se sont succédé à la tête de ce royaume puis des républiques, la France a annexé étape par étape du 12ème au 19ème siècle la plus grande partie de l’Occitanie (hors Val d’Aran et Vallées occitanes du Piémont italien) mais aussi la Bretagne (1532), la Catalogne Nord (1659), l’Alsace et la Lorraine francique entre le 16ème et 18ème siècle puis à nouveau en 1918, le Pays basque Nord du 16ème au 17ème siècle, le Westhoek flamand au 17ème siècle, la Corse en 1769.

Au 19ème siècle, la France était un État plurilingue et seulement un tiers de la population maîtrisait réellement le français qui va commencer à s’imposer sur tout le territoire avec l’école de Jules Ferry et ses « hussards de la république ».

L’école de la république française, mise en place sur tout son territoire par les lois Jules Ferry, inculque aux jeunes le roman national français dont la trame exalte nos ancêtres les Gaulois, Clovis, Jeanne d’Arc et Napoléon et mobilise les esprits pour la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine prétendument volées à la France par les Teutons.

La France est aussi une puissance coloniale à l‘extérieur de l’Europe : elle annexe l’Algérie en 1830 et se constitue un empire en Afrique, en Indochine et dans le Pacifique malgré son échec en Amérique du Nord.

C’est un empire auquel elle devra renoncer au terme d’une guerre sanglante en Algérie, dans une moindre mesure en Indochine et de manière plus apaisée en Afrique subsaharienne lors de la vague de décolonisation des années 1960.

Restent toutefois les « colonies intérieures », selon le concept de « colonialisme intérieur » utilisé par Robert Lafont, et les îles dites françaises comme la Nouvelle Calédonie, Tahiti, la Guadeloupe, la Martinique et Mayotte, ainsi que la Guyane, qui servent par leur maintien dans le giron français les intérêts géopolitiques de l’État français.

Celui-ci tient à son rang de puissance mondiale possédant l’arme nucléaire et un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU, à son rang de pays dont l’influence, avec celle de l’Allemagne, est déterminante dans l’Union européenne.

Mais l’histoire nous montre que les empires, quelle que soit leur puissance, finissent par se disloquer. La France une et indivisible, un des États les plus centralisés d’Europe qui s’acharne à maintenir le monolinguisme en son sein (le français est la langue de la république comme l’affirme la constitution), peut-il résister aux nouveaux courants de l’histoire ?

Peut-elle éclater comme le prévoyait déjà en 1976 Jean-Pierre Richardot dans La France en miettes ([4]) où il proposait une république fédérale comme antidote aux forces centrifuges ?

Cet éclatement n’est peut-être pas pour demain mais ce n’est plus une utopie.

Le sous-titre du livre de Jérôme Fourquet : « Naissance d’une nation multiple et divisée » montre les doutes pour ne pas dire les craintes de l’auteur qui semble déplorer son constat.

Ce qu’il appelle nation ou État-nation, le Parti de la Nation Occitane préfère l’appeler État car la France est bel et bien un État plurinational.

De nombreuses fractures y sont répertoriées.

Sur le plan religieux, la France n’est plus depuis longtemps la fille aînée de l’Église. Les catholiques pratiquants sont marginaux et les églises sont désertées alors que les mosquées, qui ont poussé comme des champignons à la suite de vagues d’immigration de pays musulmans, sont pleines le vendredi.

Sociologiquement, le fossé se creuse de plus en plus entre les élites mondialisées des métropoles et les banlieues de ces mêmes métropoles gangrenées par l’économie souterraine, un islamisme radical conquérant et sécessionniste.

Mais un fossé sépare aussi ces élites des métropoles des villes moyennes et des campagnes qui ont donné naissance au mouvement des gilets jaunes, les perdants de la mondialisation à marche forcée.

Cela conduit à ce que Jérôme Fourquet appelle une archipélisation de la société et à une recomposition du paysage politique dont l’avenir dira s’il est durable.

En même temps, la France étouffe sous le centralisme parisien et les collectivités territoriales réduites au pain sec par l’État sont exsangues et sans pouvoir fiscal et législatif. Leur révolte n’est pas à exclure.

Les réactions aux attentats terroristes de ces dernières années, la victoire de l’équipe de France de football à la coupe du monde de 2018 n’ont pas entraîné d’élan patriotique français et n’ont pas renforcé la cohésion « nationale » mais plutôt créé un clivage entre les « Je suis Charlie » et les autres.

Le brassage social par les colonies de vacances et le service militaire obligatoire n’existe plus pour susciter une adhésion à la patrie française et jusqu’ici le Rassemblement National, version dure du nationalisme chauvin français, n’a pas réussi à prendre le pouvoir, ce qui ne veut pas dire que cela n’arrivera jamais.

Justement, l’Occitanie compte de gros bataillons du RN et de la France insoumise, version de gauche du chauvinisme jacobin français.

Ni Guilluy ni Sainte-Marie ni Fourquet n’évoquent une autre fracture sous-jacente, la fracture ethnique, laquelle est fondamentalement culturelle et linguistique, même si elle est masquée par les progrès de l’éradication des langues autres que le français.

L’Occitanie « française » est la plus grande nation sans État d’Europe et si elle n’échappe pas aux fractures déjà mentionnées, elle souffre d’un déficit de reconnaissance par l’État, par les pouvoirs publics locaux et par ses propres habitants.

Il est vrai qu’elle subit à la fois une immigration massive venue de la France proprement dite ‑ disons « du Nord de la Loire » ‑ et une immigration non moins conséquente en provenance d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne.

Comme les Occitans de « souche » ou d’adoption savent rarement qu’ils le sont, à l’exception peut-être des habitants de la région « Occitanie-Pyrénées-Méditerranée », et comme dans leur immense majorité ils ne parlent pas ou plus occitan, beaucoup ont tendance à compenser le manque de leur identité occitane par un nationalisme français exacerbé qu’ils trouvent dans le Rassemblement national ou la France Insoumise.

Dans un contexte où la France n’est plus une construction aussi solide qu’elle ne l’était et montre des failles béantes, la priorité des priorités pour les militants politiques occitans est de conscientiser les Occitans quelle que soit leur origine. Ceci comprend notamment d’inviter et d’encourager les immigrés en Occitanie à devenir occitans, c’est à dire à embrasser le mode de vie occitan, la culture occitane et aussi la langue occitane ‑ sans attendre toutefois qu’ils entrent dans cette langue plus massivement dans un premier temps que les occitans « de souche » ne la récupéreront.

Le Parti de la Nation Occitane est pragmatique. Même s’il est indépendantiste et prône la création d’un État occitan, membre de l’UE et de l’ONU, il admet que le processus sera long et par étapes mais il affirme qu’on ne peut pas se contenter de mener une action culturelle occitane et de quémander des subventions auprès des pouvoirs politiques qu’on abandonnerait aux partis français.

Il faut prendre le pouvoir dans les collectivités territoriales en commençant par la base, c’est à dire par les municipalités. Voilà pourquoi le Parti de la Nation Occitane soutient Occitanie ‑ País Nòstre qui veut présenter un maximum de candidats aux municipales de mars 2020 et « labelliser » toutes les listes qui prendront des engagements écrits pour l’occitan.

Il soutient aussi l’idée de mener des actions dans les régions occitanes autres que la région « Occitanie-Pyrénées-Méditerranée » pour faire prendre conscience à la population de son occitanité et de sa situation coloniale. Le Parti de la Nation Occitane entend ainsi éclairer les Occitans sur leur propre identité et les réalités sociales, économiques et politiques de notre pays pour les appeler à le libérer. C’est la seule voie possible pour l’instant.

 

[1]    https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-actuel/la-france-peripherique

[2]    https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18867/bloc-contre-bloc

[3]    https://www.seuil.com/ouvrage/l-archipel-francais-jerome-fourquet/9782021406023

[4]    https://www.amazon.fr/France-en-miettes-Jean-Pierre-Richardot/dp/2714410472

Occitanie Lo Lugarn

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Tag(s) : #Editorial Lo Lugarn, #Lo Lugarn, #occitanie
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