Deux expressions qui me font sortir mon "douze" (ou ma faux manchée à rebours).
- Comme je l'ai déjà indiqué, les privilèges sont des lois particulières appliquées à des territoires ou à des catégories sociales. Leur octroi se fait dans des circonstances de luttes sociales ou répondent à des nécessités politiques ou économiques. Le pouvoir crée par exemple des villes franches pour y attirer des habitants. Au Moyen-Âge, défendre ses privilèges est la seule façon de se prémunir contre l'arbitraire et la réédition du Livre des privilèges de Manosque devrait intéresser au plus haut point nos camarades. Je me propose d'ailleurs d'en faire une présentation pour le Lugarn. De nos jours, personne ne s'offusque de l'existence des lois Littoral et Montagne qui sont bien des privilèges au sens propre même si elles restreignent plutôt les libertés !
Au Moyen-Âge, les communautés étaient très conscientes de l'existence de ces privilèges et se battaient pour obtenir une égalisation par le haut. C'est le pouvoir (officiellement "républicain"!) qui cherche à inciter - par une honteuse manipulation de l'opinion publique - les plus maltraités à demander une égalisation par le bas.
- L'expression "régimes spéciaux" recouvre des réalités différentes.
* Personne n'en connaît le nombre réel car le chiffre de 42 concerne en réalité le nombre de régimes de retraite, ce qui inclut les complémentaires par exemple. Le décret de décembre 2014 en compte 10 et la Sécurité Sociale 13.
Lu dans les Échos (journal d'extrême gauche comme chacun sait !):
Le flou qui entoure cette notion n'a pas été levé par la définition proposée par le décret de 2014. Celui-ci range ainsi, dans la liste des régimes spéciaux, tout régime comportant en son sein « un dispositif spécifique de reconnaissance et de compensation de la pénibilité ».
Ce dispositif peut se traduire par un âge de départ moins élevé, une durée de cotisation plus faible pour obtenir une retraite à taux plein ou un calcul plus avantageux de la pension de retraite. Or, il existe, dans les faits, une vingtaine de régimes de retraite pratiquant un ou plusieurs de ces avantages, dont celui de la fonction publique.
Reconnaître la pénibilité nécessitera donc de recréer sous d'autres noms ou de maintenir des régimes spéciaux.
* Les premières retraites furent des régimes spéciaux. Louis XIV créa un système de retraite pour les soldats invalides et un autre pour les membres de l'Opéra de Paris. Dès 1850, les premières compagnies de chemins de fer françaises ont créé des caisses de retraite pour fidéliser leurs employés les plus qualifiés (Wiki). En 1909 fut instauré le régime spécial des cheminots, maintenu en 1945 au moment de l'instauration du régime général.
* Il se trouve dans ce nombre des retraites complémentaires regroupées aujourd'hui sous le sigle Agirc-Arrco qui fonctionnent déjà par points et qui ne sont pas déficitaires. Un coup d'œil sur leur site persuadera qu'il y existe aussi des cas particuliers parmi lesquels les apprentis ou les journalistes pigistes. Ce régime est déjà une refonte progressive d'autres régimes passés.
* Ce dernier exemple démontre qu'il est possible d'unifier progressivement certains régimes de retraite grâce à des discussions avec les partenaires sociaux.
* Il me semble que ce qui choque le plus les gens ce sont les régimes des entreprises publiques et ceux de la fonction publique. Et encore, dès que l'on aborde le cas des militaires, des pompiers ou du personnel hospitalier, ces régimes spéciaux ne font pas l'unanimité contre eux alors que le régime de la SNCF semble concentrer toutes les critiques oublieuses du fait qu'il ne concerne déjà plus que les anciens embauchés, les nouveaux l'étant au régime général.
- Tous les spécialistes que j'entends sur les médias semblent être d'accord pour reconnaître que la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues ou des maternités entraînera nécessairement des différences interdisant en apparence la mise en place d'un véritable régime universel, la formule "un Euro cotisé = un Euro versé" n'étant qu'un slogan, surtout qu'il n'est jamais précisé qui cotisera pour les cas particuliers.
Corporations et corporatisme
Accuser les syndicats de corporatisme est devenu une tactique assez courante ainsi que l'expression prendre en otage, dans laquelle les anciens otages voient une offense à leur histoire personnelle authentique.
Les collegia romains furent les ancêtres des corporations médiévales, communautés de métier, nommées guildes ou hanses dans les pays germaniques. Il n'est pas dans mon intention de faire ici un topo sur ce que furent historiquement les corporations, cela se trouvant déjà sur la toile.
En Juin 1791, complétant le "décret d'Allarde" du mois de Mars, la loi Le Chapelier interdit toute forme de groupement professionnel comme les corporations, mais aussi le compagnonnage ou les mutuelles. En Août 1792, seront aussi interdites l'université (association d'enseignants et d'enseignés) et les facultés de médecine (l'exercice de cette pratique devant être "libre").
Le XIX° siècle s'appuiera sur cette loi pour réprimer les grèves et empêcher la formation de syndicats jusqu'à ce que la loi Ollivier de 1864 supprime le délit de coalition et que la loi Waldeck-Rousseau de 1884 légalise les syndicats.
Le corporatisme a d'abord été la philosophie politique des "chrétiens sociaux" qui appuyaient leur action sur la doctrine sociale de l'Église, puis a été revendiqué par les régimes fascistes qui cherchaient à limiter les oppositions syndicales jugées "politiques".
Le sens dérivé actuel est ainsi défini par le Toupictionnaire :
Sens n°2 :
Le corporatisme désigne, de manière péjorative, l'attitude consistant à défendre les intérêts de sa corporation, de sa caste ou de son groupe social. C'est le cas lorsque qu'un groupe puissant, ayant un comportement s'apparentant à celui des corporations de l'Ancien Régime (contrôle des recrutements par exemple), parvient à faire pression sur les pouvoirs économiques, sociaux et politiques et à contrôler leurs décisions au bénéfice de ses adhérents, plutôt qu'à celui de l'intérêt général.
Exemples d'organismes régulièrement accusés de corporatisme :
- Certains syndicats (agriculteurs, cheminots, électriciens, routiers...)
- Les grands corps de l'État
- Certaines organisations professionnelles (médecins, pharmaciens, notaires, huissiers de justice...)
- Anciens élèves de grandes écoles au sein des grandes entreprises
Les exemples cités me paraissent bien dépassés de nos jours par le lobbying beaucoup plus dangereux de Big Pharma, de la pétrochimie, des multinationales ainsi que par le TINA du néolibéralisme.
Le gros mot de l'égalité
J'ai déjà eu maintes fois l'occasion de m'exprimer sur cette notion que les jacobins se sont habitués à traduire par uniformité. S'il nous faut revenir une fois de plus sur cette erreur (pire : une faute !) c'est parce que l'adjectif universel qualifiant cette réforme n'était que le fondement d'un slogan vide de sens. La suite des événements démontre à l'envi que le nouveau régime ne sera universel que dans la mesure où chacun en bénéficiera mais de façon adaptée en fonction de la pénibilité de sa profession, de la longueur de sa carrière, du nombre de ses grossesses, de son espérance de vie à la retraite, etc. On retrouve la fameuse "universalité" de la langue française selon Rivarol, l'adjectif ne signifiant pas qu'elle est parlée par tous mais plutôt que c'est la seule qui mériterait de l'être !
De même que l'unité de la langue d'oc se vérifie dans sa diversité, un régime "universel" des retraites suppose la prise en compte de tous les cas particuliers : comment un pouvoir (je refuse de distinguer présidence et gouvernement) a-t-il pu s'engager dans une telle réforme sans prévoir le long travail de préparation qu'elle exige ? Décidément, les gosses ne sont pas les seuls à vouloir tout, tout de suite ! Aux infos d'hier soir j'ai été heureux de constater que mon expression a été reprise (sans que j'aie pu en rien influencer les commentateurs) : on va devoir remplacer les régimes spéciaux par des régimes spécifiques !
En guise de conclusion
Pour terminer, je dirai qu'une intelligente réforme des retraites peut être utile et permettre plus de justice. Toutefois, l'injustice au niveau des pensions ne fait souvent que reproduire les graves inégalités salariales : bien des agriculteurs ne demanderaient que de pouvoir cotiser plus ! Et encore, ces inégalités de salaire ne concernent que ceux qui ont un emploi car le chômage aux deux extrémités de la chaîne constitue l'autre scandale encore plus insupportable.
Aussi, avant toute réforme de l'âge de départ à la retraite, il me semblerait indispensable de se préoccuper de l'emploi des seniors et de leur adaptation à de nouvelles activités.
Mais aussi, préalablement à tout calcul concernant l'équilibre comptable du système, il conviendrait d'évaluer le montant des cotisations dont le chômage, notamment des jeunes, prive les différents régimes.
Ce sont les deux conditions qui pourraient éviter, mieux que la fumeuse pédagogie dont on nous rebat les oreilles, que chacun se croie perdant et victime d'une réforme dont personne ne semble maîtriser vraiment les tenants et les aboutissants, à commencer par ses promoteurs.
Plus généralement, le rôle du PNO est-il de réfléchir aux spécificités d'une éventuelle politique vraiment nationale de réaménagement du territoire occitan ou consiste-t-il à hurler avec les loups contre des catégories sociales désignées par le pouvoir dans le but inavoué (car inavouable) de créer de toute(s) pièces(s) ce qu'il pourra ensuite fustiger comme répugnant populisme ? Il n'y a donc aucune urgence à ce que notre parti prenne position pour ou contre cette réforme : il me semblerait beaucoup plus important de faire des propositions concrètes sur la revitalisation et le réaménagement du/des territoire(s) dans le cadre du changement climatique, ce qui implique une réflexion sur la mobilité, les transports en commun, la relocalisation de la production, ou le néo-jacobinisme des métropoles. Ce travail est plus facile pour ceux d'entre nous qui ont privilégié l'action locale.
Bernard Fruchier