par Bernard Fruchier
- Sur le plan historique, chacun sait (sauf peut-être les plus jeunes) qu'il s'agit d'une doctrine des années 20 et 30, ce qui ne veut pas dire qu'on ne puisse en trouver des germes dans l'histoire plus ou moins ancienne, dans les différentes dictatures et tyrannies ou les grands empires.
- D'un point de vue sociologique, il s'agit de la réaction de défense des classes moyennes, qui se sentent prises entre le marteau du grand capital et l'enclume du prolétariat ouvrier ; elles se jugent donc victimes de la lutte des classes.
- Le moyen politique pour s'en sortir sera de mettre fin à cette lutte des classes grâce à un homme providentiel (Führer, Duce ou Caudillo), le plus souvent un militaire...où un ancien anti-militariste déguisé en soldat.
- Le faisceau des licteurs romains, constitué de baguettes liées ensemble et surmontées d'une hache symbolise cette union du peuple sous l'égide d'un chef.
- C'est dire que l'État doit s'imposer aux individus, d'ailleurs l'individualisme serait une conséquence de l'universalisme rationaliste issu de la philosophie des lumières contre laquelle il faudra lutter. Un État autoritaire, voire totalitaire, devra supprimer l'humanisme démocratique et les droits de l'homme trop abstraits : un homme est d'abord citoyen d'un pays. Pour renforcer ce lien, il importe de se créer un ennemi de race ou de religion et se lancer dans des guerres de conquête au nom d'un nationalisme entendu d'une manière assez particulière mais surtout opposé à l'internationalisme prolétarien.
- S'il parvient au pouvoir de façon apparemment légale, le fascisme a besoin de milices (qui diffèrent d'un pays à l'autre par la couleur de leur chemise) et d'une jeunesse embrigadée. Le psychanalyste communiste Wilhelm Reich a bien montré dans sa Psychologie de masse du fascisme comment le nazisme a surfé sur les névroses de cette jeunesse. Il a d'ailleurs en vain mis en garde ses camarades communistes contre le risque fasciste d'un temps où la 3° Internationale dénonçait le danger venant selon elle des sociaux-traîtres.
- Sur le plan économique, le fascisme sera dirigiste et se lancera dans une politique de grands travaux pour assurer le plein emploi, ce qui n'interdit pas de soutenir le grand capital dont l'État a besoin. Certains aspects de gauche du fascisme ont attiré des militants déçus par les échecs des partis socialistes et en Allemagne le parti se nomma national-socialiste. Très vite, les SA furent les seuls à prendre cet intitulé à la lettre et ils furent éliminés lors de la Nuit des longs couteaux.
- Les syndicats, trop politisés et diviseurs de la société devront être supprimés et remplacés grâce à un retour au corporatisme.
À quoi bon insister plus longtemps sur cette définition du fascisme que l'on pourrait compléter à l'infini : nos militants savent lire (ce qui n'est pas le cas de tous) et sont très capables d'enrichir sur la toile leurs connaissances historico-politiques. Venons en plutôt au risque actuel.
- Les conditions économico-sociologiques sont effectivement réunies pour que certains puissent réclamer l'arrivée au pouvoir d'une femme providentielle.
- Mais ce statut semble devoir échapper à Marine Le Pen au nom d'un machisme récurrent chez les fascistes qui lui préféreront toujours un homme « qui en a », d'où le succès, provisoire et fragile, d'Eric Zemmour.
- Si Jean-Marie Le Pen, qui avait pourtant des qualités de tribun ainsi que la stature et les comportements d'un chef, n'a jamais réellement cherché à s'emparer du pouvoir et a accepté de laisser diaboliser son parti pour rester dans une extrême droite fort antipathique mais sans doute plus confortable pour lui, sa fille, sous l'influence notamment de Florian Philippot, a entrepris un travail de dédiabolisation et de gauchisation lui permettant de récolter les voix de nombreux déçus de la « gauche » française.
- Oui, osons le dire, son programme, proche sur certains points de celui de Victor Orban en Hongrie, est fascisant, sans que cela n'implique de guerres de conquête, de camps de concentration ou de solution finale.
- Au moment où nous attendons les résultats d'un sondage chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, le risque d'un report sur Marine Le Pen d'électeurs mélenchonistes est réel.
Deux points toutefois méritent d'être signalés :
- d'une part, une Marine Le Pen présidente aurait sans doute face à elle deux chambres d'opposition et se trouverait contrainte à une cohabitation.
- d'autre part, la constitution de la V° république est déjà suffisamment monarchique et se trouve responsable de la montée des extrêmes, l'élection d'un président au suffrage universel nécessitant des promesses démagogiques (ce terme très classique a été remplacé par celui de populisme) pouvant séduire non seulement le Lumpenproletariat décrit par Marx et prêt à se vendre au plus offrant mais encore des jeunes désorientés qui ont perdu tout sens historique.
Alors que faire (Что делать?) ?
Toutes les options sont sur la table selon l'analyse et les craintes de chacun de nos militants. Quant à moi, je persisterai dans mon abstention de principe tout en comprenant les choix des autres.