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Sur la promenade des Anglais

La première fois que j’ai entendu prononcer le mot « occitan » je devais avoir 18 ans vers les années 1953-54. C’était sur la promenade des Anglais à Nice, lieu que je fréquentais souvent le soir pour draguer les filles. C’est alors que je fis la rencontre d’un personnage étonnant, François Fontan. Il faut d’abord que je vous dise dans quel état d’esprit politique que je me trouvais à l’époque.

J’étais ce qu’on appelle « cosmopolite de gauche », universaliste et endurci ! Croyant dans un communisme mondial, élevé à l’école de la mère, communiste de salon. À mes yeux, tous les problèmes politiques se ramenaient à une question d’économie, de lutte des classes. Le nationalisme et la nation me semblaient une chose aberrante… J’aurais facilement dit : « les prolétaires n’ont pas de patrie… etc. ». Et voilà que François Fontan sur une chaise, sur la promenade des anglais, argumentait, parlait d’ethnisme, d’Occitanie. Si j’avais été niçois j’aurais dit : «  l’Occitanie qu’es acò ? »

À l’époque, c’est-à-dire dans les années 1950, le mot Occitanie et le mot ethnie n’étaient vraiment pas choses courantes dans aucun discours politique. Nulle part, dans aucune messe, ni dans la presse de Gauche ni dans celle de Droite. Et voilà que ce personnage Fontan parle d’une Occitanie comme si c’était une chose vraie, réelle, et non pas un conte de fée sorti de son imagination. Il dit : « l’Occitanie existe, l’Occitanie a une langue, la langue occitane doit se  recréer et renaître ».

Il parle d’un territoire occitan. Il sort même une carte géographique et le délimite village par village : ici, on parle l’Occitan, ici, c’est le français…

Cette Occitanie, en fait, elle ne sort pas de son chapeau ; elle est là, bien ancrée sur un échafaudage des plus solides. Monsieur Fontan affirme qu’il est prêt à en débattre même à partir d’arguments historiques, scientifiques. Moi, j’ai toujours aimé discuter, surtout lorsque je suis persuadé que mon interlocuteur a tort et moi, raison.

Donc me voilà prenant place avec les autres autour de F.Fontan pour le combat.

J’avais - j’étais persuadé avoir – affaire à un illuminé politique à qui j’aurai vite fait de régler son compte. Le progrès technologique, les mass-médias, la surpopulation, tout allait à l’encontre de la division du monde en ethnies. De nouvelles frontières ! Quelle chose ridicule !

Fontan avait répons à tout, et non pas des réponses affectives, mais des faits, des exemples d’ethnies qui avaient perdu leur langue (ou presque), leur territoire, submergées par une technologie étrangère et qui pourtant, renaissaient, retrouvaient leur identité.

Son point faible, j’avais décidé, était l’Occitanie.

Cela (à l’époque) me paraissait tellement impensable, inimaginable qu’elle existe, que si je pouvais prouver son irréalité, je pourrais alors battre en brèche l’argument clé de son échafaudage : « partout où il y a une culture, il y a une ethnie et une nation ».

Mais rien à faire, Fontan avait réponse à tout. Le choc pour mon orgueil fut dur. Je me sentais ridicule.

Cette nuit là, chez moi, je ne dormais pas. Je cherchais des arguments, je notais toute la nuit ce que j’allais lui dire le lendemain et le lendemain, j’y étais, et comme il est dit dans le conte, pendant cinq nuits, comme la chèvre de Monsieur Seguin, je me suis battu avec courage, attaquant, contre-attaquant. La cinquième nuit, je n’avais plus d’argument : l’ethnie et l’Occitanie existaient.

En fait que se passa-t-il en moi ? Je suis de ceux qui assument les conséquences d’une réalité. Donc, après ces cinq nuits, ma vision du monde avait changé et croyez moi et c’est important, ce n’est pas une Occitanie affective basée sur un nationalisme romantique dont sont faites, hélas ! beaucoup trop de pensées théoriques nationales qui nait alors en moi. Au contraire, c’est l’image d’une Occitanie réelle, existant au même titre que n’importe quelle autre ethnie. Mais ne croyez pas non plus que je me suis figé. Ces cinq nuits à discuter ne sont pas encore terminées pour moi, puisque encore récemment, chaque fois qu’à la télévision ou à travers un ouvrage surgit un argument qui va à l’encontre des thèses fontaniennes, j’ai hâte de le noter pour le lui présenter. Mais souvent, je trouve la réponse tout seul.

Mais revenons à Nice, à Fontan et à la promenade des Anglais en 1955. Dès qu’on avait baissé les armes, qu’on s’était avoué vaincu, on devenait rabatteur. On arpentait la Promenade dans l’espoir de trouver quelqu’un de plus fort pour battre Fontan. On ramenait de tout : des communistes, des extrêmes-droites, des intellectuels parisiens, et on se disait, peut-être ce soir Fontan va perdre.

Mais il ne perdait pas. C’était un véritable spectacle, un combat d’arène. François, assis tous les soirs entre la cinquième et la sixième colonne de la Pergola, face au Casino de la Méditerranée, François entouré de combattants, envoyait des pointes, toujours clair, tirant des conclusions, argumentant, sans jamais faire de concession, cinglant de vérité impitoyable dans le triomphe, ne cédant jamais à l’affectivité.

Je me souviens d’avoir assisté à la défaite d’Accola et à une colère de Le Clézio.

Souvent, les adversaires, acculés sans argument, réagissaient avec l’insulte et le quolibet. Pour nous, c’était le signe de leur défaite, l’adversaire était liquidé ! Au suivant !

Mais François ne parle pas que de l’Occitanie. Il parle de toutes les ethnies du monde. Il les connaît souvent mieux que leurs représentants. Ainsi il apprendra à un Arabe qu’il est Berbère, à un noir des USA qu’il dit parler le wolof  et pas le swahéli. Il parle du Québec, - souvenez-vous, en 1955, le Québec c’était l’anglais- il parle des Kurdes, d’Israël, et aujourd’hui, je puis vous dire que 25 ans après, la plupart des prédictions de Fontan se sont réalisées. Mais revenons à l’Occitanie aujourd’hui que doit-elle à François Fontan ? Certains maintiennent que Fontan et le PNO n’ont pas ou peu d’audience dans le mouvement occitan aujourd’hui. Cela, d’après moi, est faux à plusieurs titres : d’une part, hier, aujourd’hui comme demain, toutes les autres façons de penser l’Occitanie ou même l’ethnie sont obligé de se situer par rapport  à la position claire et sans ambigüité de François Fontan qu’il a exposé dans son ouvrage (Ethnisme) qui date de 1961.

D’autre part, il me semble que de nombreux penseurs occitans et non des moindres comme R. Lafont, ont subi l’influence directe de F. Fontan.

Je voudrais terminer en précisant que pour ma part, bien que je ne nie pas l’existence du politique, mon intérêt pour les ethnies dans le monde et en France, est uniquement culturel. Je maintiens qu’il est préférable d’avoir un monde multi-culturel qu’un monde dominé par deux ou trois cultures.

Ben Vautier

Dans supplément au Lugar N°38 Hommage à François Fontan (mars 1991)

NB : Le Clézio fait référence à F.Fontan à Nice dans un article de l'hebdomadaire Le Point (Publié le 19/07/2016 à 09h12) :

"La Prom', quand j'ai commencé à y aller, n'était plus fréquentée par ces remarquables excentriques, et par beaucoup moins de millionnaires. Elle était plutôt le rendez-vous des retraites confortables qui se chauffaient aux reflets du soleil sur les balcons des immeubles modernes, en attendant la bataille de fleurs ou le défilé du carnaval. Certains jours, c'était la promenade des tempêtes, la mer démontée jetait des pierres sur les vitrines des cafés et sur la façade du Palais de la Méditerranée. Certains soirs d'été, un dissident nommé Fontan dissertait sur les nouvelles limites du monde selon les langues, et dessinait sur une carte du monde. Quand il devenait gênant, la police l'expulsait de l'autre côté de la frontière, mais il revenait toujours. Tout cela est ancien, mais c'est resté pour moi l'identité de cette partie de la ville, entre exotisme et naïveté, adolescence insolente et maturité résignée."

 

Ben Vautier Occitanie

Ben Vautier Occitanie

Tag(s) : #Tribune libre, #culture, #international, #occitanie
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