"Les langues régionales mènent-elles au séparatisme ?"
Réponse de Jean-Pierre Hilaire à Michel Feltin-Palas
Il est certain que des pays comme la France sont le résultat d’une construction historiquement artificielle. Si on définit comme le fait François Fontan une nation par l’existence d’une langue propre parlée ou récemment parlée sur un territoire donné, on se rend compte qu’au départ le français qui allait au cours des siècles devenir l’idiome standard et officiel du Royaume de France puis de la république française (article 2 de la constitution) n’était que la langue de l’Île de France, un petit royaume qui par une politique de conquête basée sur la force des armes ou les alliances en vint à absorber par étapes des peuples dont le français n’était pas la langue à savoir les Occitans qui le 12 septembre 1213 manquèrent l’occasion de constituer leur État avec les Catalans, les Bretons (duché de Bretagne annexé en 1532), les Basques du Nord, les Catalans du Nord en 1659, la moitié du Westhoek flamand en 1713, les Corses en 1769 sans parler de l’Alsace et la Lorraine germanophones, objet de conflit entre la France et l’Allemagne de Louis XIV à Bismarck puis Hitler. Ceci prouve en passant que, contrairement à une certaine propagande officielle de la 3ème à la 5ème république qui veut que la France soit éternelle et incréée, le territoire de la France, conglomérat de nations diverses parlant des langues diverses, a varié dans son étendue géographique, ceci d’autant plus en raison de son passé colonial en Afrique du Nord et subsaharienne, en Asie et d’autres parties du monde. Ce qui n’a jamais par contre varié, c’est la volonté des pouvoirs qui se sont succédé en France d’imposer à tous les niveaux un monolinguisme français même si les deux premières années de la Révolution française auraient pu donner naissance à une fédération. Les langues dites « régionales » pour mieux les déprécier ne sont reconnues officiellement que de manière symbolique dans la constitution et sans aucune portée pratique mais dès qu’il est question de leur accorder un statut digne de ce nom, la cohorte habituelle des Jacobins présents au sommet de l’État et dans toutes les sensibilités politiques, hurle et met en garde contre le risque de séparatisme. Mais le séparatisme est-il un crime si des peuples que l’on a forcé à vivre ensemble dans le même État et à être dominés par le peuple le plus fort, cherchent à obtenir leur indépendance au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droit reconnu internationalement ?
Certes l’indépendantisme est marginal en Occitanie et en Bretagne pour ne prendre que deux exemples mais il est loin de l’être en Corse où une coalition d’autonomistes et d’indépendantistes est au pouvoir. L’indépendantisme est une force politique majeure en Catalogne, au Pays basque Sud et en Écosse. L’Espagne ne viendra pas à bout de l’indépendantisme catalan en le criminalisant et en condamnant à l’exil ou à de lourdes peines de prison des élus légitimes.
Pour en revenir à la république française, faut-il considérer que l’unité nationale est un principe intangible ? Qui peut dire si une France une et indivisible perdurera et pour combien de temps ?
Vous nous proposez le contre-exemple de la Suisse où règne la plus parfaite démocratie linguistique. La Suisse comme la France est une construction réunissant des peuples de langue française, allemande, italienne et romanche. Cela fonctionne parce que ces peuples y trouvent leur intérêt sur le plan de l’économie et du niveau de vie. Sur le plan culturel, ce n’est pas idyllique. Bien sûr, les fonctionnaires à tous les niveaux territoriaux ont l’obligation d’être polyglottes (surtout allemand-français d’ailleurs) mais en pratique les Suisses germanophones se plaignent du fait que leurs compatriotes francophones ne fassent guère d’efforts pour parler allemand. Au point qu’ils soient obligés d’avoir recours à l’anglais pour trouver une langue commune.
Heureusement pour eux, aucun des peuples de la Suisse n’est assez fort et dominant pour imposer sa langue aux autres. Par contre en Espagne, les Basques et les Catalans même s’ils dominent l’économie sont en infériorité numérique et l’État espagnol ne perd pas une occasion de remettre en cause les prérogatives des autonomies, notamment l’enseignement obligatoire en catalan pour la Catalogne. Les Catalans tant qu’ils ne maitriseront pas leur destin seront en butte à ce qu’il faut bien appeler l’impérialisme espagnol.
Vous proposez comme modèle pour la France Félix Castan qui pensait que la langue et la culture occitanes enrichissaient le patrimoine de la France. Notre langue et notre culture sont différentes de la langue et de la culture françaises que je respecte à condition qu’il y ait réciprocité. Or celle-ci n’existe que pour les bisounours. On annexe purement et simplement notre culture en faisant des troubadours des poètes français et on assassine notre langue (dernier exemple en date la calamiteuse réforme du lycée de Blanquer qui marginalise encore plus nos langues).
Je préfère François Fontan, adversaire politique de Félix Castan qui prônait l’indépendance de l’Occitanie. Je ne crois guère que la France puisse devenir une république fédérale respectant scrupuleusement la diversité linguistique sur son territoire. Alors oui, je suis indépendantiste, terme que je préfère à séparatiste même si je reconnais que l’indépendance de l’Occitanie n’est pas pour demain.
Jean-Pierre Hilaire 22/04/2020