Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

En ces temps de confinement sanitaire, la rédaction de Lo Lugarn vous propose un nouveau texte de Jacme Pince. Celui-ci est un jeu de va-et-vient entre réflexion politique et philosophique. À l’heure où beaucoup de personnes se demandent quelle pourrait être la vie d’après confinement, que chacun d’entre nous en tire le meilleur profit.

 

 

Les deux à la fois

 

            L’État-nation est une construction arbitraire, édifiée par les guerres (raison du plus fort) ou par les héritages politiques féodaux. Pour se donner un aspect de cohérence, l’État-nation est obligé de contraindre, de restreindre la notion de liberté à son profit, d’imposer des référents identitaires à visée dominatrice (impérialisme interne et externe) et même, de se substituer à l’ « Autre ». L’État-nation est un concept extérieur au peuple, imposé par des hommes pour leur profit circonscrit. Ne nous y trompons pas, la république, notion relative, ne s’exerce que dans un champ clos (l’État-nation). Elle impose ses règles et aveugle les horizons tout en manipulant le concept de liberté en sacrifiant l’essence au vulgaire (liberté de consommer). Quant à la démocratie, elle n’est plus qu’un instrument au service de la république, c’est à dire, contrôlée par elle.

            Mais l’imposture ne s’arrête pas là. L’État-nation (éventuellement républicain) finit par devenir un monstre (au sens platonicien) dépersonnalisé qui échappe à ses créateurs. C’est lui qui, par exemple, « imposa » la guerre d’Algérie.

            L’homme, dans tous les cas, est un être « enraciné » (Simone Weil). Enraciné dans un lieu, dans une histoire, dans une culture, dans une mythologie, voire dans une religion, et ce, même dans le cas où il passera (et c’est loin d’être la règle) sa vie à vouloir quitter ses (ces) fondamentaux. Et si ceci nous paraît être une réalité, ceci ne saurait être une vérité qui s’impose, car aucune vérité ne s’impose. C’est aussi pourquoi certains se sont fourvoyés dans l’impérialisme centralisé, le racisme, le nationalisme chauvin, confondant enracinement et aliénation. Le local n’est pas un mieux exclusif, c’est un terreau nourricier non exclusif, égalitaire, pour voir au-delà.

            Toutefois, à partir du moment où la vérité ne s’impose pas, elle reste lumière à retrouver (ce qui devrait être une tendance personnelle) et un appui solide pour une cohérence universelle. Encore faut-il se mettre en quête sincère pour la discerner. Et si la vérité n’est pas évidente, c’est qu’elle n’est pas relative. Les cheminements peuvent être variés, mais au bout il y a l’universel, qui n’a rien à voir avec l’uniformité (comme on cherche à nous le faire croire). Cette quête doit nous donner l’aspiration au concret confiant d’un espace, d’abord limité et reconnaissable (famille, profession, entité culturelle, linguistique, terroir, etc.), et dans une adhésion constructive à l’humanité dans son ensemble pour laquelle nous avons un devoir de précaution et d’embellissement (écologie, social, en finir avec les guerres, politique de la cité, etc.). L’humanité, et même l’altérité ne sont-elles pas l’autre moi, sans lesquels nous sommes réduits à néant ?

            Bref, la question n’est pas de savoir s’il vaut mieux du régional ou du mondial, mais les deux mouvements, contrairement peut-être aux apparences, sont complémentaires et peuvent, seulement alors, nous amener vers la vérité et peut-être un absolu pour peu que l’on admette qu’un absolu nous dépasse et que rien d’essentiel ne saurait se limiter au champ de nos intérêts personnels et immédiats. Ce double mouvement fait peut-être la difficulté, et sans doute la beauté de notre situation. On peut ne pas admettre l’existence de cette transcendance, mais alors on accepte la loi du plus fort, et il faut l’assumer.

            Mais ne nous y trompons pas, soit volontairement, soit par abdication de la quête de vérité, l’homme, les hommes, ont contribué à entretenir les rouages grinçants et rétrogrades. Les perspectives de l’homme ont été longtemps limitées, mais la situation actuelle, voire l’actualité, commencent à nous montrer à quel point la terre (l’humanité) est un espace fini (sphérique) et entier, qui est cette autre dimension qui fait de nous des hommes.  

            Mais attention, si la prise en compte de cette dimension n’est que l’extension des principes de l’État-nation (républicain), le monde court un danger infernal. Il suffit d’imaginer que les pouvoirs (le pouvoir) y soient concentrés par des forces minoritaires, usurpées, et aux valeurs dévoyées.

            Bref, il ne s’agît pas de remplacer un système par un autre (cela n’a jamais marché idéalement), il s’agît de relancer les deux mouvements adéquats, mais par l’énergie adéquate (dans ce processus l’État-nation fait obstacle). Et c’est sur la nature de cette énergie que l’homme ne finit pas de discuter, ou plutôt semble avoir fini à l’aune de ses certitudes puériles, laissant le navire dériver vers le récif.

            Ce ne sont pas des règles nouvelles qui suffiront à répondre à la question, mais plus encore, la sincérité, l’honnêteté intellectuelle, la liberté cruciale, avec lesquelles ces règles seront élaborées, dans un mouvement harmonieux et continu.

Et le temps nous est désormais compté.

 

Jacme Pince

10 avril 2020

L’homme est un être « enraciné » (Simone Weil)

L’homme est un être « enraciné » (Simone Weil)

Tag(s) : #Tribune libre
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :