Mercredi dernier, à la salle des illustres de la mairie d’Agen, sous le portrait du poète occitan d’Agen, on célébrait Jacques Clouché et Jasmin. Le premier est sans doute le meilleur spécialiste, j’oserai dire mondial, du poète auquel il avait déjà consacré deux ouvrages de référence, Jasmin vrai (épuisé) et Jasmin, dictionnaire intime. Et voilà qu’il vient de publier aux éditions d’Albret Jasmin l’enchanteur, une somme de plus de 700 pages sur la vie de Jasmin dont il faisait la présentation. Il revenait au maire d’Agen et à la présidente du Conseil départemental, qui ont subventionné cette publication, de prendre la parole pour féliciter Jacques Clouché et souligner l’importance de Jasmin dans l’histoire de notre ville, de l’Agenais et de la France. Et tous les deux surent trouver les mots justes. André Bianchi, directeur des Éditions d’Albret, récita un extrait bien connu des « Papillotes » où Jasmin nous raconte les circonstances de sa naissance. Il était temps que retentisse dans cette salle des illustres la langue d’origine des Agenais après toutes ces louanges en français. Bravo à lui, ce n’est que justice. C’est bien là le paradoxe de cet hommage. Jacques Clouché, occitanophone de naissance, ne s’exprime pas en occitan en public. Je respecte son choix. On honore à travers Jacques Clouché, un poète qui écrivait des poèmes et les déclamait devant le peuple et les plus hautes autorités de l’époque dans une langue qui est étrangère à la plupart des Agenais d’origine ou d’adoption aujourd’hui. Ceux qui l’ont « têtée au berceau » comme on dit en occitan, disparaissent les uns après les autres sans l’avoir transmise à leur descendance. Or une langue est faite pour être utilisée dans toutes les circonstances de la vie, en public comme dans la vie privée. C’est aussi une vision singulière du monde. On ne voit pas les choses de la même façon en occitan et en français. Elle est l’expression d’une identité. Chez beaucoup d’Agenais et d’Occitans, la seule trace de langue occitane c’est l’accent et quelques occitanismes en français. Il y a un risque réel que cette langue disparaisse. Chaque langue qui meurt est une grande perte pour l’humanité. Certes, à Agen il y a la « Jansemineta » (calandreta), les classes bilingues à l’école primaire, une option occitan dans un collège mais plus de cours d’occitan dans les trois lycées de la ville ! Il existe aussi un cours d’occitan pour adultes. On peut voir des plaques de rue bilingues dans le cœur de ville. Mais que pèse tout ceci sur l’ensemble de la population, une population qui a bien changé depuis le 19e siècle et qui pense majoritairement qu’il vaut mieux apprendre l’anglais ou son ersatz le globish ? Il est vrai que nous sommes dans un pays jacobin où depuis les lois Jules Ferry, l’État n’a pas ménagé ses efforts pour éradiquer les langues dites régionales. Faut-il rappeler l’acharnement de Jean-Michel Blanquer, ex ministre de l’éducation nationale contre les écoles immersives en langue régionale. Pour que la langue de Jasmin vive, il faut la volonté des élus et l‘offre de son enseignement pour tous les élèves à tous les niveaux. A quoi cela sert-il de rendre hommage à Jacques Clouché et à Jasmin si on ne crée pas les conditions pour la renaissance de l’occitan ? Il ne faudrait pas que ce soit un enterrement de première classe.
Monsieur le maire, Madame la présidente du conseil départemental, Monsieur le député (vous avez des racines italiennes mais vous êtes occitan vous aussi) osez l’occitan dans vos discours, soutenez son enseignement dans l’hémicycle à St Jacques et à l’Assemblée nationale. Soutenez encore plus la culture occitane, Madame la présidente, comme vous le faites déjà avec la Quinzaine occitane. Monsieur le maire, faites-nous une grandiose fête occitane pour l’inauguration de la place Jasmin. Faites vivre l’occitan avec moi si vous croyez que Jasmin occupe une place capitale dans notre ville. Rappelez-vous que Michel Serres avait eu le projet inabouti de faire éditer l’œuvre complète de Jasmin.
Jean-Pierre Hilaire, chargé de la langue et la culture occitanes à la mairie d’Agen
20 mai 2022
What about Jasmin’s language ?
Last Wednesday, in the Salle des Illustres of the Town Hall of Agen, under the portrait of the Occitan poet of Agen, Jacques Clouché and Jasmin were celebrated. The former is undoubtedly the best specialist, I would dare to say the best in the world, of the poet to whom he had already devoted two reference works, Jasmin vrai (out of print) and Jasmin, dictionnaire intime. And now he has just published Jasmin l'enchanteur, a sum of more than 700 pages on the life of Jasmin, which he presented. It was up to the Mayor of Agen and the President of the Departmental Council, who subsidised this publication, to take the floor to congratulate Jacques Clouché and to underline the importance of Jasmin in the history of our town, of the Agenais region and of France. And both of them knew how to find the right words. André Bianchi, director of the Éditions d'Albret, recited a well-known extract from "Papillotes" in which Jasmin tells us about the circumstances of his birth. It was about time for the original language of the people of Agen to be heard in this hall of illustrious figures after all the praise in French. Congratulations to him, it is only fair. That is the paradox of this tribute. Jacques Clouché, a native Occitan speaker, does not speak Occitan in public. I respect his choice. Through Jacques Clouché, we are honouring a poet who wrote poems and declaimed them before the people and the highest authorities of the time in a language that is foreign to most of the people of Agen, whether they were born in the region or adopted it today. Those who have 'been breast-fed by it from the cradle' as we say in Occitan, disappear one after the other without having transmitted it to their descendants. Yet a language is made to be used in all circumstances of life, in public as well as in private. It is also a singular vision of the world. One does not see things in the same way in Occitan and in French. It is the expression of an identity. For many people from Agen and Occitans, the only trace of Occitan language is the accent and some Occitan turns of phrase in French. There is a real risk that this language will disappear. Every language that dies is a great loss for humanity. Of course, in Agen there is the "Jansemineta" (immersion school in Occitan), bilingual classes in primary school, an Occitan option in a secondary school, but no more Occitan classes in the three secondary schools of the city! There is also an Occitan course for adults. Bilingual street signs can be seen in the town centre. But what is the weight of all this on the population as a whole, a population that has changed a lot since the 19th century and that mostly thinks it is better to learn English or its ersatz, globish? It is true that we are in a Jacobin country where, since the Jules Ferry laws, the state has spared no effort to eradicate so-called regional languages. It is necessary to recall the relentlessness of Jean-Michel Blanquer, the former Minister of National Education, against immersive schools in regional languages. For Jasmin’s language to live, the will of elected representatives is nessary as is necessary to offer its teaching to all pupils at all levels. What is the point of paying tribute to Jacques Clouché and Jasmin if we do not create the conditions for the rebirth of Occitan? This should not be a first-class funeral.
Mr. Mayor, Madam President of the Departmental Council, Mr. Deputy (you have Italian roots but you are also Occitan) dare to use Occitan in your speeches, support its teaching in the hemicycle at St Jacques and in the National Assembly. Support Occitan culture even more, Madam President, as you are already doing with the Occitan Fortnight. Mr. Mayor, give us a grandiose Occitan celebration for the inauguration of the Place Jasmin. Make the Occitan language come alive with me if you believe that Jasmin occupies a capital place in our city. Remember that Michel Serres had the unfulfilled project of publishing the complete works of Jasmin.
Jean-Pierre Hilaire, in charge of the Occitan language and culture at the Agen Town Hall
May 2Oth, 2022
Dimècres passat, a la sala dels illustres de la comuna d'Agen, jol retrach del poèta occitan d'Agen, se celebravan Jacques Clouché e Jansemin. Lo primièr es sens dobte lo melhor especialista, jo gausarai dire mondial, del poèta al qual aviá ja consacrat doas òbras de referéncia, Jansemin vertadièr (agotat) e Jansemin, diccionari intim. E vaquí que ven de publicar en francés a las edicions d'Albret Jansemin l'encantaire, una soma de mai de 700 paginas sus la vida de Jansemin del qual fasiá la presentacion. Tornava al cossól d'Agen e a la presidenta del Conselh departamental, que an subvencionat aquesta publicacion, de prendre la paraula per felicitar Jacques Clouché e soslinhar l’importància de Jansemin dins l’istòria de la nòstra ciutat, d’Agenés, d’Occitània e de França. E totes dos an sabut trobar los mots requists. Andriu Bianchi, director de las Edicions d'Albret, recitèt un extrach plan conegut de las « Papilhòtas » ont Jansemin conta les circumstàncias de sa naissença. Èra plan temps que ressonèsse en aquesta sala dels illustres la lenga d'origina dels Ageneses aprèp totas aquelas lausenjas en francés. Òsca a el, es pas que justícia. Es plan aquí la paradòxa d'aquel omenatge. Jacques Clouché, occitanofòne de naissença, s’exprimís pas en occitan en public. Respecti sa causida. A travèrs Jacques Clouché, s’onora un poèta qu’escriviá poèmas e los declamavan davant lo pòble e las autoritats mai nautas de l'epòca dins una lenga qu’es estrangièra a la majoritat dels Ageneses d’origina o d’adopcion uèi. Los que « l’an popat al breç » coma se ditz en occitan, desapareisson los uns aprèp los autres sens l’aver transmesa a sa descendéncia. Ara una lengua es facha per èsser utilisada en totes las circumstàncias de la vida, en public coma dins la vida privada. Es tanben una vision singulara del mond. Se vei pas las causas de la meteissa manera en occitan e en francés. Es l'expression d'una identitat. Per maites Ageneses e Occitans, la sola traça de lenga occitana es l'accent e qualques occitanismes en francés. I a un risc real que aquela lenga desaparesca. Cada lenga que morís és una granda pèrda per l’umanitat. En efècte, a Agen i a la « Jansemineta » (calandreta), las classas bilingüas a l'escola primària, una opcion occitan dins un collègi mas pas mai de corses d'occitan dins los tres licèus de la vila ! Existís tanben un cors d’occitan pel mond bèl. Se pòt veire de placas de carrièra bilingüas dins lo còr de vila. Mas que pesa tot aquò dins l’ensemble de la populacion, una populacion qu’a plan cambiat dempuèi lo sègle XIX e que pensa majoritàriament que val mai aprene l’anglés o son ersatz lo globish ? Es vertat que sèm dins un país jacobin ont dempuèi las leis Jules Ferry, l'Estat a pas esparnhat sos esfòrces per eradicar las lengas dichas regionalas. Cal rapelar l'acarnament de Jean-Michel Blanquer, ex ministre de l'educacion nacionala contra las escòlas immersivas en lenga « regionala ». Per que la lenga de Jansemin visca, cal la volontat dels elegits e l‘ofèrta de son ensenhament per totes los escolans a totes los nivèls.
De qué servís de rendre omenatge a Jacques Clouché e a Jansemin si se crean pas las condicions per la renaissença de l'occitan ? Caldriá pas qu’aquò foguèsse un enterrament de primièra classa.
Sénher Cossól, Madama la presidenta del Conselh departamental, Sénher deputat (avètz de raiçes italianas mas sètz occitan tanben) gausatz l'occitan dins vòstres dichas, sostenguetz son ensenhament dins l'emicicle a St Jacques e a l'Assemblada nacionala. Sostenguetz encara mai la cultura occitana, Madama la presidenta, coma o fasètz ja amb la Quinzena occitana. Sénher Cossòl, fagatz-nos una fèsta occitana grandassa per l’inauguracion de la plaça Jansemin renovada. Fagatz viure l'occitan amb jo se cresètz que Jansemin ocupa una plaça caporala dins nòstra vila. Rapelatz-vos que Michel Serres aviá agut lo projècte que capitèt pas de far editar l’òbra complèta de Jansemin.