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Le 774ème anniversaire du bûcher de Montségur commémoré le 19 mars 2023

Cette année encore, comme tous les premiers dimanches après le 16 mars, l’association citoyenne ariégeoise Occitània e Libertat avait convié les Occitanes et les Occitans à venir nombreux à Montségur pour rendre hommage aux 210 personnes brûlées vives par l’armée française en 1244. Pour l’occasion un discours faisant le lien entre Histoire et actualité, a été prononcé par le Dr Jacme Pince, secrétaire de l’association. Il s’agissait de ne pas laisser sans paroles occitanistes fortes, le 774ème anniversaire de cette ignominie.

Depuis de nombreuses années, le Partit de la Nacion Occitana s’associe à cette manifestation. Un stand de diffusion de la revue Lo Lugarn était à la disposition du public. Il a permis de faire se rencontrer les personnes présentes. La cérémonie a lieu à onze heures et a été suivi d’un apéritif convivial offert par l’association Occitània e Libertat.

Cette manifestation d’hommage aux victimes du fanatisme et du totalitarisme n’a pas été la seule à être programmée sur le site de mémoire qu’est Montségur. En effet, chaque année également, et le 16 mars précisément, quelque soit le jour dans la semaine, la section ariégeoise de l’Institut d’Estudis Occitans et Convergéncia Occitana de Toulouse appellent à un hommage aux victimes de l’impérialisme français et de l’intolérance religieuse. Deux manifestations pour dénoncer la haine ne seront jamais de trop à Montségur. Nous devrons attendre le dimanche 16 mars 2025 pour que les deux rassemblements se rejoignent.

 

Allocution du Dr Jacme Pince :

Cars amics,

bonjorn a totes !

            Nous sommes ici rassemblés, vous le savez, pour faire mémoire, ouvrir nos oreilles au silence qui parle, ouvrir nos yeux devant l’injustice, ouvrir nos cœurs aux émotions d’hier comme d’aujourd’hui.

            Nous allons dans un instant nous mettre à l’écoute du silence de ce lieu.

            Cette année, pour introduire ce moment fort, j’ai pris le parti de vous lire un extrait des écrits d’Anne Brenon qui nous parle des derniers jours du siège. Cela me paraît suffisamment lourd de sens et d’émotion, et se suffit à lui-même :

            Du 2 au 16 mars 1244, Montségur eut deux semaines pour se recueillir, se mettre en ordre, se préparer, dans le silence retombé. Les parfaits, qui allaient mourir, distribuèrent tous leurs biens et leur argent personnel aux laïcs qui les avaient si longtemps défendus, tout ce qui leur restait de vivres : du blé, du poivre, du sel, de l’huile. Bertrand Marty fit don à Pierre Roger de Mirepoix de cinquante pourpoints taillés et cousus de la main des parfaits et de leurs fournitures propres, et l’église lui fit remettre une pleine couverture de pièces de monnaie. Il s’agissait plutôt des dépôts bancaires faits à l’église par des croyants.

            Bertrand Marty confia, avec toute la scrupuleuse honnêteté des parfaits, la masse des dépôts au chef militaire de Montségur, à charge pour lui de les restituer à leurs propriétaires. Montségur eut deux semaines pour se préparer aux séparations. Toutes ces mères, ces sœurs, ces oncles, ces amis parfaits qui allaient être définitivement libérés du mal par le bûcher, qui, tout simplement, allaient mourir, châtelaines et sergents les visitèrent longuement dans leurs petites maisons : l’on s’assembla silencieusement dans ce village qui allait être déserté.

            Le dimanche 16 mars 1244, une vingtaine de croyants et croyantes demandèrent de recevoir le consolament pour suivre les Parfaits jusqu’à l’ultime porte, pour être parmi eux. Acte de désespoir d’hommes et de femmes qui n’avaient rien à perdre, ou ne voulaient pas survivre à la disparition des êtres chers ? Mais Guilhelme Aicart laissait un mari et trois enfants, Corba de Péreille toute une famille.

(recueillement)

            Oui, ils ont résisté, et voilà que 779 ans après, nous sommes là avec eux, dans la mémoire vivante des leçons de l’histoire. Il nous revient de veiller à ce que cette lumière ne s’éteigne pas, dans ce monde désenchanté où l’humain ne semble guère plus entendu, où l’homme semble réduit à un rôle de rouage d’une grande mécanique au service des obscurantismes mercantiles et des ambitions de pouvoir.

            Le bien commun, le respect des dignités et la justice, ne sont jamais des valeurs acquises. Il y a toujours à travailler à les définir, les redéfinir, pour les mettre en œuvre.

            L’actualité de ce monde illustre bien la situation : que ce soit les guerres (Arménie, Syrie, Ukraine, etc. il y a 28 conflits en cours dans le monde), que ce soit les ethnocides d’État (Xi-kiang/Chine – peuples d’Amazonie/Brésil), ou que ce soit simplement les impérialismes nationaux, plus sournois et à mes yeux tout aussi odieux quand ils mènent à l’éradication des minorités culturelles au nom d’un ethnocentrisme conquérant (tout récemment encore l’usage du corse a été interdit dans les débat au Parlement corse). Et puis il y a les terrorismes intolérants (pour citer encore un exemple récent, l’assassinat de sœur Maria De Coppi au Mozambique, tuée pour sa simple appartenance religieuse). Enfin il y a la tentation sectaire de certains de ceux qui ont un pouvoir médiatique, politique, économique.

            C’est dans cette jungle que nous devons tracer notre route. C’est sur cette route que Montségur nous éclaire, nous inspire et nous conforte dans notre démarche qui se veut sereine, ouverte, juste et déterminée.

            Montségur reste notre printemps, toujours renouvelé, fleuri aux fleurs d’aubépine, aux jonquilles naissantes, fleuri d’un sourire de compassion. Montségur chanté par la fauvette, aux douceurs retrouvées des soleils promis. Montségur est une force, c’est notre force, et ce n’est pas une armée.

            Je voudrais finir cette intervention par une mosaïque de pensées. Le monde est une mosaïque et j’espère qu’il le restera malgré les difficultés, sinon, cela voudra dire que la mort a triomphé.

            Voici donc quelques pensées, proverbe et poème. Vous en ferez l’usage que vous désirerez d’en faire. Ils me sont apparus adaptés à ce site :

  • « … pour que monte de nous, et plus fort qu’un désir, le désir incroyable de se vouloir construire, en se désirant faible et plutôt qu’orgueilleux, en se désirant lâche, plutôt que monstrueux… ». Jacques Brel.
  • « Priver un peuple de sa langue et de sa culture, c’est le condamner à mort ». Danièle Mitterrand, sur France-Inter le 19 octobre 1992, à propos des Kurdes.
  • « Le passé ne passe jamais, il n’est même pas passé ». William Faulkner.
  • « Quand tu es arrivé au somment de la montagne, continue à grimper ». Proverbe tibétain.

Enfin, un poème : Ce poème qui parle de braise et de feu, pourrait paraître déplacé à Montségur, mais je pense que c’est en fait tout le contraire. Il fut écrit par la poétesse Lucie Santucci à l’occasion « d’i fochi Paoli » (les feux Paoli) en Corse.

      Pasquale Paoli est mort à Londres le 6 février 1807. Ses cendres n’ont été transférées en Corse que le 4 septembre 1889. Il est dit que ce jour là, les Corses avaient allumé des feux (d’hommage) tout au long de la route vers Merusaglia (village natal de Paoli). Et tous les ans, cette tradition se renouvelle.

      Poème écrit en langue corse qu’Alan Vidal nous a traduit en occitan :

Fuòc e brasa

Del orizont luènh

un fuòc fa lum.

De la montanha luènha

un lum fa fuòc.

De la tèrra luènha

l’orizont fa brasa.

Del cèl luènh

la brasa fa buf.

Del buf luènh

la memòria fa vida.

De la vida luènha

un crit fa crida.

De las cridas luènhas

la votz fa còr.

Dels còrs luènhs

la sang fa cercle.

Dels cercles luènhs

l’uèlh fa signe.

Dels signes luènhs

l’Istòria s’escrit.

Dels escrits lènhs

la flama fa amor.

Jacme Pince, 19 mars 2023.

Montségur / Ariège

Montségur / Ariège

Tag(s) : #Montségur, #occitanie
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