Montségur 2021
En 2020 le cercle d’action et de réflexion Occitània e Libertat n’avait pas pu, pour cause de confinement sanitaire, organiser comme chaque année la commémoration de la reddition du château de Montségur, le 14 mars 1244. Reddition qui entraina un des plus grands bûchers que la croisade contre les Albigeois eut à connaître et la fin de la résistance armée de l’Occitanie face a l’occupant français.
Cette année, le dimanche 21 mars, Occitània e Libertat, a pu renouer avec l’hommage rendu aux victimes de l’intolérance. Pour l’occasion, et une fois encore, le Partit de la Nacion Occitana était présent au pied du pog avec un stand. En démocrates que nous sommes, nous regrettons l’absence des autres partis occitans à cette manifestation mémorielle qui devrait pourtant réunir l’ensemble des forces politiques nationales.
Nous reproduisons ci-après l’allocution de M. Jacme Pince, l’un des animateurs d’Occitània e Libertat.
Bonjorn a totes !
Benvenguda en tèrra d’òc qu’es tèrra d’universalitat e de convivéncia.
Je voudrais commencer en évoquant ici ceux qui nous ont quitté depuis notre dernier rencontre :
- Joan-Claudi Chabrouty qui était là en 2019, comme tous les ans depuis fort longtemps. Il fût un fidèles parmi les fidèles, un homme généreux et convaincu. Il restera dans nos cœurs et fait partie de l’histoire de ce site.
- Miquèl Roquebert qui doit tant à Montségur et auquel Montségur doit tant.
Voici 777 ans, ici, la mort fut la seule réponse apportée à l’esprit de liberté. Par la mort on voulut éteindre l’altérité qui contestait, de fait, l’absolutisme.
Je vous propose que nous nous inclinions et que nous écoutions encore ce silence qui nous parle toujours de cette histoire et de ces prolongements qui restent d’actualité dans ce monde qui donne à croire trop souvent qu’il peut être créé par « Satan ».
Il est impossible d’écrire la litanie des souffrances et injustices que l’homme inflige toujours à l’homme. En voici quelques illustrations pour alimenter nos réflexions et notre pensée, mais vous pouvez y ajouter vos propres intentions ; rien que pour les deux années écoulées nous évoquons :
- Le poète Enrique Alberto Servin-Herrara, assassiné au Mexique. Il était professeur d’anthropologie et défendait la cause des cultures et langues autochtones ;
- Hevrin Helef, femme politique. Elle a été assassinée aux frontières de la Turquie où elle défendait le droit des hommes et des femmes et notamment ceux des Kurdes.
- Zara Mohamadi, condamnée en Turquie à dix ans de prison pour avoir enseigné la langue kurde.
- Albert Razin, s’est immolé par le feu en Oudmourtie pour protester contre les restrictions des droits linguistiques imposées à son peuple par l’État russe.
- Sœur Iñes Nieves Sanche, assassinée en Centre Afrique parce qu’elle était chrétienne.
Mais aussi, et encore une fois, nous penserons au peuple Ouigour : adultes internés dans des camps, femmes stérilisées, enfants enlevés à leurs parents pour une éducation forcées en chinois.
Nous y associerons le peuple tibétain qui poursuit son chemin de souffrance.
Rappelons encore que des élus Catalans, nos voisins, restent condamnés à l’exil ou à la prison pour avoir cru à la démocratie.
Bref, nos pensées pourront aller vers toutes les personnes et les peuples, à Montségur et ailleurs, hier comme aujourd’hui, qui ont été ou sont victimes des impérialismes idéologiques, étatiques, religieux, de par le monde.
Il y a ceux que l’on tue et ceux que l’on étouffe lentement, cyniquement, jusqu’à l’asphyxie.
Prenons le temps d’un silence habité, celui auquel Montségur, dans sa tragédie, nous invite.
(…)
Oh, combien nous aurions aimé n’être ici que pour commémorer un événement signifiant d’un lointain passé. Plus de 215 personnes sont mises à mort en 1244 parce qu’elles étaient différentes, parce qu’elles ont voulu rester fidèles à elles-mêmes, parce que, par leur seule existence, elles remettaient en cause les instances du pouvoir. Et l’histoire de l’humanité nous montre à quel point Montségur reste une actualité.
La théologie de ces dissidents chrétiens du Moyen-Âge nous donne sa clef et ouvre des perspectives. Les Bons Hommes et les Bonnes Femmes disaient : « Seigneur n’ayez aucun égard pour notre corps, mais prenez en pitié l’esprit emprisonné ». Emprisonné d’un corps, certes, mais aussi de ses préjugés et de ses certitudes. C’était aussi une théologie de l’espérance qui disait, « Si la vie est une traversée harassante, au bout du voyage, neuf fois plus lumineux que le soleil, l’âme, libérée des anxiétés de la matière, retournera au paradis originel, un instant perdu mais jamais oublié ».
Au moment de la croisade, les dissidents chrétiens ne représentaient sans doute pas plus de 10 % de la population (selon les régions). Mais cela était encore trop aux yeux des puissants. Il y a longtemps que l’homme extermine l’homme, jusqu’à nous engager aujourd’hui dans une ère d’extinction : extinction du vivant (les espèces), extinctions des diversités (biologiques, culturelles, linguistiques), extinctions des idéaux (au profit des mécaniques consuméristes manipulées), extinction des libertés dans l’engrenage des dérives technologiques.
Arrêtons-nous un moment. Quittons nos oripeaux usés, regardons ce matin la lumière allumée sur notre route par la foi de ceux qui nous ont précédés ici. Les Bons Hommes et les Bonnes Femmes sont là. Ils nous aident à déchirer le rideau et à faire taire nos peurs, pour enfin relever la tête vers des horizons éclairés d’une humanité enfin ( ? ) guérie.
Nourrie de ces cendres, cette terre nous a tant donné que nous ne saurions nous soustraire à ce que nous lui devons. C’est peut-être pour cela que nous sommes là aujourd’hui, blessés, mais debout.
Après avoir écrit ces quelques lignes, j’ai trouvé ce poème de Sèrgi Carles. Il m’a semblé adapté :
Sortèm de l’ostal desanat e de las aissas
bastidas d’ans e d’ans de pensaments negres,
engranjats lop e solitari amb los meus.
Morissi a las rabias senhorejantas de
mon existéncia estrangièra.
Me costosisses a la sollicitud e a la tendresa.
Balha-me la fervor per te tornar
la centena part de çò que me donas.
Sortons de la maison déchue e des haines
bâties d’années et d’années de noires inquiétudes,
engrangées loup et solitaire avec les miens.
Je meurs aux rages dominatrices
de mon existence étrangère.
Tu me fais naître à la sollicitude et à tendresse.
Accorde-moi la ferveur pour te rendre
le centième de ce que tu me donnes.
Jacme Pince
Montsegur lo 21 de març de 2021