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Réponse à Michel Feltin-Palas par Bernard Fruchier

Depuis des mois notre ami Jean-Pierre Hilaire relaie auprès des membres de notre parti, le Parti de la Nation Occitane, les intéressants articles de Michel Feltin-Palas publiés sur le site de l'Express. Il n'est nul besoin de préciser à nos amis lecteurs que ce philologue est un défenseur de ce que les Français nomment "langues régionales". Dans son dernier article, il prend la défense des autochtones qui osent s'exprimer dans leur patois (infâme) devant des bons Français au mépris des convenances. Il cite avec bonheur Amin Maalouf, autre défenseur des identités.

Le problème

J'éprouve toutefois à la lecture de ce texte assez juste, comme de coutume, le sentiment d'un manque important : son auteur oublie la fameuse question (léniniste !) : Que faire ? Expliquer et justifier nos réactions d'agressivité me semble certes primordial mais un peu court car la bonne volonté ne peut suffire pour résoudre ce problème. L'auteur conclut :

Pourquoi, dès lors, voudrait-on qu'en France il faille renoncer à être corse (ou basque ou breton ou alsacien) pour être un "bon" Français ? Pourquoi l'appartenance nationale devrait-elle écraser l'appartenance régionale ? C'est cette uniformisation qui provoque les réactions excessives qui peuvent surgir ici et là. Et c'est de mon point de vue retourner les choses que de reprocher aux victimes de cette situation de se comporter parfois avec maladresse.

Dans la mesure où il utilise le terme de victimes, l'analyse devrait déboucher sur une étude politique de l'aliénation linguistique et s'interroger sur l'impérialisme français. Or les notions d'appartenance nationale et d'appartenance régionale interdisent de bien cerner les termes du problème. En effet, l'Occitanie, le Pays Basque, comme le Kurdistan, le Tibet ou la Berbérie, ne sont pas des régions mais des ethnies. Au moment où les "minorités visibles" se définissent par une couleur de peau ou des rites religieux extériorisés, il est important de rappeler qu'il existe aussi - et surtout - des "minorités audibles" (que l'on cherche pour cela à faire taire) car la langue maternelle (ou qui devrait l'être) est le seul critère de nationalité objectif et utilisable universellement. Et encore, en inventant cette expression, j'ai conscience de faire erreur car il ne s'agit pas de minorités mais de peuples (volontairement) minorés par le processus que l'on nomme ethnocide. Dans un Tibet indépendant, les Tibétains seraient majoritaires ; ils ne sont minoritaires qu'en tant que victimes de l'impérialisme chinois. Si maintenant on applique, en toute logique, cette analyse aux Flamands, aux Bretons, aux Catalans, aux Écossais ou aux Frisons, les tenants (ils sont majoritaires !) du "politiquement correct" vont pousser les hauts cris. Pourtant l'Europe qui cherche à faire son unité n'existera que comme Europe des ethnies ou s'effondrera par la faute des fameux - et mal nommés - États-nations.

Qu'est-ce que l'ethnisme ?

Lorsqu'en 1959 François Fontan fonde à Nice le Parti Nationaliste Occitan (PNO), la décolonisation des possessions françaises est en cours : les accords de Genève (1954) reconnaissent l'indépendance de plusieurs pays de l'ex-Indochine et la guerre d'Algérie a commencé, guerre au cours de laquelle Fontan sera jugé pour aide au FLN. En ce temps-là, le PCF, fidèle à Marx, conjurait les Algériens de mener en priorité le combat social car le socialisme promettait de résoudre, sur le modèle des luttes ouvrières, les problèmes d'appartenance ethnique et d'égalité entre les sexes qui n'étaient pour les communistes que des cas particuliers de l'exploitation bourgeoise du prolétariat. Cet homosexuel affirmé avait lu Wilhelm Reich et nous en avait conseillé la lecture, ce qui explique l'influence sur les premiers militants (et sur certains plus tardifs comme moi-même) de ce que l'on a appelé le freudo-marxisme). Notre ami Glaudi Troin était sans doute l'artiste occitan le plus reichien.

Comment l'influence de Marcuse explique les déviations actuelles de l'"extrême-gauche".

Toutefois, le freudo-marxisme ne se résume pas à Reich mais englobe aussi Herbert Marcuse dont Eros et civilisation (1954) semblait libérateur mais dont L'homme unidimensionnel (1964), en conclusion d'analyses assez neuves sur la société de consommation et qui influenceront les étudiants de 1968, pose les principes de ce que certains nomment aujourd'hui islamo-gauchisme : les ouvriers, embourgeoisés par la société de consommation, ne sont plus la classe révolutionnaire et les seuls ferments d'évolution de nos sociétés se trouvent chez les persécutés pour leur race, leur religion ou leur orientation sexuelle. Surtout la notion de tolérance répressive, libératrice en apparence, peut être détournée de son but initial et servir à justifier l'interdiction de toute critique, la répression de toute affirmation non conforme et même à justifier le terrorisme.

Il est dès lors interdit au nom de la rectitude politique (politiquement correct) de critiquer l’islam, religion des opprimés, et les islamistes politiques à qui on trouve des excuses même quand ils commettent des attentats terroristes sous peine d’être taxé d’islamophobie, ce qui entraîne la stigmatisation dans les médias, dans les universités et dans les réseaux sociaux et la mort sociale voire pire encore. Depuis déjà l'arianisme des Wisigoths, l'Occitanie a toujours été une terre d'hérésies, ce qui explique notre laïcité ancienne. Le petit père Combes était conscient, quand il interdisait l'enseignement aux congrégations (1904), de venger ses ancêtres cathares (réels ou supposés). Dès la littérature troubadouresque, nous ne nous sommes pas gênés pour critiquer la religion ou le cléricalisme et personne ne nous a jamais reproché une quelconque intolérance. Au contraire, notre tolérance a toujours été la condition de notre liberté de penser et de nous exprimer.

Le programme ethniste

Le programme ethniste fontanien précise que les trois grandes sortes de contradictions entre les hommes, de classes, de nations, de sexes et classes d'âge, ne peuvent se réduire l'une à l'autre et doivent être résolues simultanément. Nous pouvons être fiers de maintenir notre refus de définir l'ethnie - et, partant, la nation - par des critères raciaux ou religieux : les événements contemporains démontrent à l'envi les risques que font encourir ces choix dangereux.

Encore faut-il ne pas refuser la distinction entre langue et dialectes, ces derniers n'étant que des variants surtout phonétiques de la même langue et n'empêchent pas l'intercompréhension. Ce manque de distinction sert avant tout à effrayer par les milliers de langues qu'il faudrait sauvegarder.

Et dire que, pour les commentateurs, journalistes ou politiciens, ethnisme, plus souvent dénommé ethnicisme, devient synonyme de racisme ou de fascisme !

L'internationalisme prolétarien, au sens où l'entendait la troisième internationale, faisait déjà réagir l'Occitan Jean Jaurès qui ne pouvait admettre que les prolétaires n'aient pas de patrie. On a donc reproché au PNO son écriture avec tiret de inter-nationalisme qui ne fait que s'inspirer de Jaurès et n’a rien à voir avec la stupide et inutile écriture inclusive qui idéologise la langue, la dénature et ne fait pas avancer d’un iota la cause des femmes (dont la majeure partie s'intéresse plus aux inégalités salariales).

Qu'en est-il des fameux États-nations ?

Il nous faut auparavant préciser les différences entre les termes État, nation et patrie.

- La nation désigne une communauté naturelle de gens qui considèrent avoir des ancêtres communs. Une ethnie (définie par sa culture et prioritairement par sa langue) a vocation à devenir une nation pourvu qu'une conscience nationale y naisse et serve de ferment à une révolution parfois violente ou, idéalement, pacifique.

- L'État désigne une communauté juridique : le gouvernement et les structures par lesquelles il manifeste son autorité ainsi que, dans les pays démocratiques, l'ensemble des citoyens participant aux choix politiques au moyen d'élections.

- La patrie est un terme affectif qui se réfère à des sentiments : c'est la nation dans la mesure où elle est objet d'amour de la part des citoyens. C'est pourquoi non seulement le patriotisme est à géométrie variable, depuis son portail jusqu'à l'humanité entière, mais encore il ne peut être l'objet d'aucune critique rationnelle car je n'ai pas de compte à rendre sur ce que j'aime, le sentiment n'ayant pas à se justifier.

Il peut exister des nations sans État (Berbérie, nations amérindiennes) ou réparties entre plusieurs États (Euzkadi, Arménie, Kurdistan), ou des nations dont l'État a subi des éclipses (Pologne), des États renfermant plusieurs nations que l'on nomme empires quand ils reconnaissent ce fait (Empire austro-hongrois, Royaume uni). Il existe aussi des fédérations et des confédérations (la Suisse réunit des fragments de quatre ethnies). Certains jouent sur les mots comme l'Espagne qui se définit comme una nación de nacionalidades, histoire de noyer le poisson et de nier l'existence d'une nation catalane.

Il existe deux types d'État-nation : ceux qui ont permis de réunir les éléments d'une nation antérieurement divisée (exemples historiques des unités italienne ou allemande) et ceux qui prétendent, à partir d'un empire issu de conquêtes militaires, créer de toutes pièces une nation artificielle réunie autour de "valeurs" (exemple de la France et de son slogan jamais appliqué dans les faits). Le malheur c'est que les nouveaux États issus de la décolonisation se sont inspirés du "modèle" français (exemple du Mali dont l'unité est inexistante comme c'est le cas de la plupart des pays d'Afrique).

Le terme de nationalisme

Bien vu à l'époque de la décolonisation par les partis de gauche qui justifiaient la formation de FLN, il est devenu dans les médias synonyme d'extrême-droite ou de fascisme (deux termes qui ne renvoient pas à la même doctrine) ; c'est ainsi que l'on parlera du nationalisme d'Erdogan. À tort car, si ce tyran était nationaliste, il se dirait pan-touranien et défendrait prioritairement ses frères ouïghours ; au lieu de cela, il renouvelle l'impérialisme turc sur les Arméniens, les Kurdes ou les Grecs et cherche à restaurer la primauté de l'empire ottoman sur une partie du monde musulman.

De même, si le RN était nationaliste, il lutterait pour la réunion à la France du Québec ou de la Wallonie ; au lieu de cela il s'oppose aux différents séparatismes, montrant qu'il est juste impérialiste, donc jacobin.

Les "minorités ethniques"

Le sort des "minorités" est très variable d'un pays à l'autre allant du génocide arménien à l'impératrice Sissi apprenant le hongrois par respect pour ses sujets ou au prince de Galles faisant régulièrement à ses sujets un discours dans leur langue. Mais ce qui nous intéresse, en tant que citoyens français "à l'insu de notre plein gré" c'est évidemment la situation en France.

La crise du COVID démontre un peu plus chaque jour l'impasse du jacobinisme et des politiciens de plus en plus nombreux réclament de "girondiniser" la république. Malheureusement, la France ne peut exister sans ce fameux centralisme qu'accompagne un ethnocide conscient et voulu, depuis l'école des hussards noirs (l'escòla de la vergonha) avec sa négation linguistique et ses falsifications historiques jusqu'à la fausse régionalisation : même les noms "provinciaux" des régions lui écorchent la bouche et il a fallu éliminer les Alsace, Picardie, Normandie, etc. au profit de dénominations fondées sur les points cardinaux ! Même la Provence aurait fini par s'appeler région Sud si le pouvoir n'avait pas reculé ! Si le dit pouvoir a fini par accepter la dénomination d'Occitanie (stricto sensu), c'est bien parce qu'il y a vu la possibilité de faire éclater la véritable Occitanie (lato sensu).

Le jacobinisme confond volontairement égalité et uniformité et le peuple a, pour son malheur, assimilé cette confusion au point de refuser les mesures locales de protection au profit d'un confinement généralisé : "Pourquoi serais-je confiné si les autres ne le sont pas ?"

Comme quoi il est facile d'inciter les citoyens à lécher la main qui les frappe, en une sorte de syndrome de Stockholm, au point que même les Gilets Jaunes ne sont pas parvenus à saisir la cause dernière de leur(s) malheur(s).

Les peuples colonisés par les Français ne sont pas les seuls à pâtir de la situation car même les "vrais Français" au sens ethnique du terme sont touchés et l'ensemble de nos concitoyens semblent bien être les plus malheureux, les grands spécialistes de l'auto-dénigrement et les premiers consommateurs de psychotropes : les dégâts du colonialisme rejaillissent aussi sur les colons, Frantz Fanon l'avait déjà dit.

La solution ou les solutions

La seule voie permettant d'échapper au colonialisme est évidemment l'indépendance, ce pour quoi nous militons au PNO. C'est peut-être un rêve mais c'est aussi celui des Écossais et des Catalans, comme ce fut jadis celui des Slovènes et les dits exemples, réalisés ou en cours de réalisation sont encourageants.

Dans un premier temps, la France pourrait retarder l'échéance en acceptant de devenir une république fédérale (il en existe déjà qui font le bonheur de leurs citoyens) mais elle préférera crever de son jacobinisme plutôt que de céder une parcelle du pouvoir parisien.

Reste l'Europe. Il y a plusieurs décennies, le PNO condamnait - à juste titre - l'Europe des colons, cheval de Troie de l'impérialisme américain. Depuis, certains de nos camarades ont voté OUI au traité européen dans l'espoir que l'Europe parviendrait à faire plier les jacobins en leur imposant la ratification de la Charte des Langues régionales et minoritaires mais leur optimisme a vite été douché. Pourtant une Europe des ethnies serait, à nos yeux, la seule solution permettant d'éviter les blocages par les États-nations. Et ne croyons pas que le nombre des États augmenterait car plusieurs disparaîtraient (Belgique, Luxembourg, Kosovo, Monaco, St Marin) et les Serbo-Croates seraient réunis, de même que les Tchécoslovaques. Pour se persuader de la faisabilité de cette Europe, il n'est que de se pencher honnêtement et sans préjugé sur le nombre d'habitants de l'Occitanie, de la Catalogne, de l'Écosse et sur celui de la Norvège, de la Finlande, de l'Islande ou du Luxembourg !

Pour conclure, la république française, soi-disant une et indivisible, ne permet pas, à cause de son uniformité jacobine, de vivre normalement sa langue et sa culture si elles sont différentes de la langue et de la culture françaises archi-dominantes et étouffantes. Et encore même des dialectes d'oïl qui ont fourni, par exemple, la Chanson de Roland sont taxés aujourd'hui de méprisables patois. Dés lors, soit on se résigne à être un « Français » de seconde classe, soit on ne s’y résigne pas et la logique nous conduit à chercher par la voie politique et si possible pacifique à quitter la république française pour former un État indépendant. C’est ce que veulent les indépendantistes corses et ce que le Parti de la Nation Occitane souhaite pour l’Occitanie et les autres nations qui composent la république française.

Comme le chantait Claude Marti, après la "France de Dunkerque à Tamanrasset", on a eu "la France de Dunkerque à Bonifacio" ; la dernière étape verra un "hexagone tronqué".

Enfin, si nous revenons au titre de l'article : "Faut-il renoncer à sa culture régionale pour être français ?", nous dirons que les cultures régionales/dialectales doivent se concevoir à l'intérieur d'une culture ethnique. Normand, picard, lorrain ou poitevin sont des dialectes de la langue d'oïl tandis que languedocien, provençal, gascon ou auvergnat sont des dialectes de la langue d'oc et, en tant que tels, ne doivent pas être méprisés. C'est pourquoi, même les ethnies devenues nations ne pourront faire l'économie d'un fédéralisme visant à respecter toutes leurs composantes.

Bernard Fruchier

 

 

 

aliénation linguistique et impérialisme français

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Tag(s) : #Tribune libre, #culture, #occitanie
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