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CE QUE J'AI CRU COMPRENDRE À PROPOS DES RETRAITES

     Toute ma vie "active" (expression discutable quand il s'agit d'un enseignant qui s'est contenté de transpirer sous la langue!), j'ai cotisé (et mon patron aussi) pour m'assurer une retraite confortable grâce à deux complémentaires. Ayant pu faire valoir mes droits à la retraite (l'expression semblait jusqu'ici consacrée) et comptant profiter de celle-ci le plus longtemps possible si Dieu me prête vie (autre expression doublement consacrée), je me sens interpellé par l'actualité sociale, d'autant plus fortement que désormais mes camarades ethnistes discutent de la pertinence de la réforme engagée. N'étant pas économiste (et ne cherchant pas plus que cela à maîtriser ce que je crois être une fausse science), je me contente de faire mon profit de quelques émissions télévisuelles au cours desquelles les meilleurs spécialistes dissertent du sujet le plus objectivement possible (du moins en apparence). Ce qui m'étonne le plus c'est non seulement le nombre de points sur lesquels ils semblent d'accord mais surtout l'absence de conclusions (sinon bassement tactiques) qu'ils en tirent. J'aimerais donc obtenir une réaction de mes chers camarades sur les constatations triviales que les médias "autorisés" m'ont permis de faire.
  1) Il existe deux types de retraite, par répartition et par capitalisation.
  2) Si les fonds de pension ont chez nous mauvaise presse, ils en sont bien un peu responsables ! Toutefois, les travailleurs ont de tout temps pratiqué, avec plus ou moins de succès, l'accumulation de capital, qu'il s'agisse d'"épargner pour leurs vieux jours" (à condition que les salaires le permettent et que le taux du Livret A ne s'effondre pas !) ou de se rendre propriétaires de leur logement (même condition que précédemment à laquelle s'ajoutent les possibilités de crédit), deux solutions mal vues des pouvoirs publics, la première parce que le livret A ne rapporte plus rien à personne et surtout pas aux financiers, la seconde parce que le travailleur propriétaire est moins mobile pour rechercher un emploi et ne rapporte rien aux bailleurs.
  3) Voilà pourquoi travailleurs et syndicats préfèrent de loin une retraite par répartition, ce qui correspond par ailleurs au devoir d'aide vis à vis des parents. Je rappelle d'ailleurs régulièrement aux jeunes générations, trop souvent incitées à un rejet des "retraités nantis", que, si les retraites n'existaient pas ou étaient insuffisantes, ce serait aux enfants de prendre soin de leurs parents...et ce serait bien plus coûteux.
  4) Mais les spécialistes nous annoncent que l'augmentation de l'espérance de vie (que nous pensions innocemment être une bonne chose) met à mal ce système car le rapport entre actifs (donc cotisants) et retraités est de plus en plus déséquilibré.
  5) La solution qui viendrait la première à l'esprit (éliminer physiquement les vieux) paraissant délicate à faire accepter (sauf par les jeunes et encore pas tous), il reste à agir sur certains paramètres et l'on parle alors de réforme paramétrique.
  6) On a proposé de jouer sur trois facteurs :
- la baisse des pensions (là aussi, mal vue des retraités dont les frais, notamment de santé ou d'aide à domicile, augmentent avec l'âge);
- l'augmentation des cotisations (mal acceptée par les actifs, d'autant plus que les salaires ne sont déjà pas mirobolants mais aussi par les retraités qui eux-mêmes ont été des actifs);
- le recul de l'âge de la retraite (solution mise en œuvre depuis pas mal d'années) ou encore (mais où est la différence ?) l'augmentation du nombre d'années de cotisation.
  7) Sur le papier, les choses sont claires et les solutions paraissent évidentes, dans la réalité certains problèmes se posent.
- D'abord, si le chômage diminuait, le problème serait plus facile à résoudre (même problème pour l'assurance santé) : il y a là une piste à creuser en priorité avant toute autre proposition.
- Pour ce qui est de l'espérance de vie, on fait semblant de croire qu'elle va continuer d'augmenter de façon exponentielle alors qu'aux USA (certes mauvais exemple) elle a déjà commencé à régresser.
- Pour l'instant, le recul de l'âge de la retraite a surtout fait bondir le chômage des seniors : où est l'intérêt de remplacer des retraités par des chômeurs ? À moins qu'il ne s'agisse d'un calcul bassement comptable pour ainsi réduire leur pension qui sera calculée sur les 25 meilleures années. Il faudra donc trouver une solution sans doute autoritaire (du coup, mal vue par le patronat) pour contraindre les entreprises à employer les dits seniors.
- Si l'on réformait l'orientation et la formation professionnelles, les jeunes pourraient travailler et cotiser plus tôt et donc plus longtemps. Je me rappelle avoir, en 1968, entendu l'UNEF réclamer pour les étudiants un statut de "jeune travailleur en formation". Un développement des formations "en alternance" pourrait apporter une contribution bienvenue.
- Mais aussi une augmentation des salaires permettrait des cotisations plus importantes : il paraît que cette solution serait anti-économique !
  8) Ce qu'Emmanuel Macron avait proposé lors de sa campagne c'est une réforme systémique : la retraite à points déjà utilisée pour les complémentaires.
- En soi, une retraite à points pourrait tout à fait se réaliser progressivement et serait effectivement plus pratique à une époque où les carrières ne sont plus aussi rectilignes qu'autrefois.
- Une retraite par points (distinction proposée récemment par Alain Madelin) pose la question de la valeur du point et des modalités de sa fixation : par qui ? pourra-t-elle baisser ? Confier cette fixation aux partenaires sociaux est peut-être un piège et l'on risquerait de se trouver face à des grèves encore plus dures sur lesquelles les syndicats n'auraient plus de prise.
- Ce qui me pose un problème, d'abord moral mais en tout cas fondamental, c'est la justification de cette réforme systémique au nom de la justice sociale qui nous amènerait à supprimer les privilèges : certains s'imaginent vivre une grande nuit du 4 Août! J'ai déjà écrit sur ce qu'étaient les privilèges au Moyen-Âge et je pense que rien n'a changé fondamentalement : l'octroi de certains avantages est toujours le résultat de luttes sociales et il me paraît tout-à-fait répugnant de la part du gouvernement de chercher à monter une partie de la population contre une autre et à vilipender des syndicats qui chercheraient égoïstement à défendre des acquis sociaux au nom d'intérêts catégoriels corporatistes. C'est d'ailleurs un comble : si les syndicats défendent les dits intérêts, on leur reproche leur corporatisme (gros mot depuis la loi Le Chapelier); s'ils défendent des droits sociaux généraux, on les juge alors politisés ! Ils auront toujours tort dans tous les cas de figure. Mais attention : le gouvernement qui croyait les avoir mis sur la touche se trouve désormais sans interlocuteur(s) et les responsables syndicaux sont facilement dépassés par leur base. Il est aisé, dans un premier temps, de monter la population contre les fonctionnaires ou contre d'évidents archaïsmes comme la prime de charbon à la SNCF (= l'arbre qui cache la forêt) au point que l'on ne sait plus de quel côté se trouve ce que les élites ont, avec le mépris de classe qui les caractérise, nommé populisme mais il sera plus malaisé de l'empêcher de se retourner contre les avantages immoraux des dites élites. Les élus sont d'ailleurs les premières victimes de cette réaction, avec l'aide du gouvernement qui cherche à en diminuer le nombre sans s'apercevoir qu'il sape en même temps les bases de la démocratie représentative, accusée de dépenses de fonctionnement excessives. On récolte ce qu'on sème!
- Que les agriculteurs soient (légèrement) avantagés par la réforme n'est que justice mais, d'une part, on peut tout à fait exiger un minimum vieillesse à 1000 € (voire plus) sans nécessairement passer par une retraite à points, d'autre part, la retraite indécente des agriculteurs s'explique en partie comme le résultat de la baisse constante (sous différentes pressions) des prix agricoles et la diminution des dépenses alimentaires en pourcentage du budget des ménages.
- Que tout euro cotisé crée les mêmes droits : qu'imaginer de mieux ? Sauf que ce slogan ne précise pas qui va cotiser : d'où viendront, par exemple, les points censés avantager les parents ayant élevé un ou plusieurs enfants ? de l’État ? du patronat ? des salariés ?
- Cet exemple suffit à lui seul à pointer du doigt le fond du problème : on propose de remplacer les régimes spéciaux par des régimes spécifiques ! Chaque profession et chaque particularité sociale, voire chaque individu, finira par posséder son propre régime, notamment en fonction de la pénibilité, de l'espérance de vie à la retraite, des carrières longues ou, au contraire, incomplètes, des grossesses.
   9) Prenons des exemples pratiques.
- Les enseignants sont montrés du doigt pour les conditions du paiement de leur retraite, leur petit nombre d'heures de cours ou encore pour la durée de leurs vacances.
* On oublie que les enseignants français sont parmi les plus mal payés d’Europe (ou de l'OCDE). Une dégradation de leurs conditions de pension devrait s'accompagner d'une hausse importante de leurs salaires, donc aucun intérêt financier à une telle réforme puisqu'en dernière analyse c'est toujours l’État qui paie.
* Les heures de cours (passées devant leur classe) supposent des heures de préparation et de correction qui doublent ou triplent leur temps de travail. On pourrait certes remplacer les dissertations par des QCM (questionnaires à choix multiples) ou des exercices "à trous", avec des cases à cocher, corrigés par l'ordinateur, personne ne pouvant alors critiquer la subjectivité de la notation. Mais alors pourquoi conserver des enseignants ? L'informatique les remplacerait aisément.
* Les dates de vacances obéissent avant tout à des impératifs économiques extérieurs à l'éducation dite à tort "nationale". Jadis les vacances d'été devaient permettre aux petits paysans d'aider leurs parents des moissons jusqu'aux vendanges; aujourd'hui les vacances d'hiver sont devenues indispensables à l'économie de l'"or blanc" au point qu'il faut former les élèves aux sports de glisse au moyen de "classes de neige"... et on s'étonne de la baisse de niveau scolaire !
- Les cheminots ont été particulièrement visés par le pouvoir (qui paye aujourd'hui les conséquences de l'humiliation qu'il leur a imposée) au moment où une grande politique - autoritaire, osons l'affirmer - des transports ferroviaires serait seule capable de lutter efficacement contre le changement climatique. La réalisation effective du ferroutage et la restauration urgente du maillage du pays devraient être la principale préoccupation des gouvernements bien avant les primes à la casse, véritable emplâtre (et, de plus, inutilement coûteux) sur une jambe de bois qui suggère le grand mensonge qu'il peut exister une "voiture propre" !

Pour terminer (provisoirement)


     Les gouvernants français ignoreront toujours la politique des petits pas car ils tiennent à laisser leur nom à de grandes réformes et cette nouvelle monarchie très louisquatorzienne semble ignorer les conséquences économiques des "grandes réformes" comme la révocation de l'édit de Nantes. Il était possible de réformer les retraites progressivement, à condition de distinguer
-  ce qui tient aux paramètres et qui est en train de se résoudre tout seul (pourquoi agiter le chiffon rouge de l'âge pivot de 64 ans quand la moyenne d'âge de départ est déjà de 63,3 ans ?);
- ce qui n'est qu'une mesure technique aisément réalisable, le système à points donnant déjà toute satisfaction dans les complémentaires;
- le besoin (réel ou imaginaire ?) d'unifier les différents régimes, ce qui peut se faire progressivement;
- l'aspect plus ou moins mythique - et, en touts cas, moins scandaleux qu'on ne le laisse croire - des fameux "régimes spéciaux" que l'on sera, de toute façon, amené à conserver ou à recréer.

De même que l'école se révèle impuissante à réduire les inégalités (on pourrait même constater le contraire), ce n'est pas une réforme des retraites qui va rééquilibrer le rapport entre le capital et le travail...


Bernard FRUCHIER

 

Tag(s) : #Actualités, #Tribune libre, #économie
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