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Pourquoi il fut jadis plus facile de rendre le vote obligatoire

 

La démocratie directe ou, du moins, de proximité ne peut se maintenir que si chacun accepte de jouer son rôle et de participer. C'est pourquoi nos statuts médiévaux rendaient cette participation obligatoire. Cette contrainte était acceptée pour plusieurs raisons que je vais détailler en m'appuyant sur les statuts champêtres de mon village de Luceram vers le milieu du XIV° siècle.

1) Les habitants de nos villages étaient conscients que leur système municipal s'appuyait sur des privilèges obtenus de haute lutte contre un pouvoir féodal en pleine désagrégation. Quand les politiciens parisiens nous affirment que "nos ancêtres se sont battus pour obtenir le droit de vote", ils ne croient pas si bien dire mais, chez nous, cette lutte n'a pas débuté avec la révolution parisienne de 1789 et la fausse prise de la Bastille, elle remonte au moins aux XII° et XIII° siècles.

2) Ces privilèges étaient en permanence rappelés symboliquement par le droit de porter un couteau ultra mensuram, c'est-à-dire plus long que la norme habituelle ainsi que par la coutume de saluer les reliques, lors de la messe du festin (fête patronale), une épée à la main. L'un des articles de nos statuts s'intitulait De cultellis portandis (sur le fait de porter des couteaux).

3) Les acamps dal parlament étaient annoncés dans le village par un garde champêtre au son de la trompette, du tambour ou des cloches.

4) Seul le chef de famille (qui pouvait être une femme) prenait part à la discussion et au vote.

5) L'article De forma proponendi in consilio (sur la forme des propositions au conseil) cherchait à mettre de l'ordre dans les débats et interdisait d'interrompre l'orateur sous la peine d'une amende de 12 deniers coronatorum (monnaie de l'époque).

6) Les citoyens étaient aussi conscients que le parlament représentait le(ur) pouvoir législatif et que les charges exécutives étaient

- limitées dans leur durée (un an),

- précises de façon à éviter la prise d'initiatives (exécuter ce que le parlament avait décidé),

- exercées par un personnel élu (du sonneur de cloches jusqu'aux syndics) et responsable devant le peuple.

7) Cette obligation de participer à la gestion de la cité n'était pas à sens unique car les familles notables de la classe bourgeoise supérieure étaient empêchées de se défiler par l'article suivant :

De officio Comunitatis

Item ordinaverunt et statuerunt quod de supra nominatis familiis videlicet de Barralis, de Castello, de Porcellis, de Millonis, de Isnardis niciens. habitatoribus Lucerami, de Arnaudis, de Boprellis (?), de Bonifaciis, de Bastalcoris (?) et sic de ceteris semper unus sit in officio dicte Communitatis Lucerami, sive baiuli, sive sindici, sive procuratoris et quod non possint illud officium refutare.       

De même ils ordonnèrent et décidèrent que des familles nommées plus haut, c'est-à-dire des Barralis, de Castel, des Porcel, des Millon, des Isnards nissards habitant Luceram, des Atnaud, des Boprel, des Boniface, des Bastalcori et ainsi des autres, un membre soit toujours en responsabilité de la dite Communauté de Luceram, soit comme Baile, soit comme syndic, soit comme procurateur et qu'ils ne puissent refuser cette charge.

C'est-à-dire que des membres de certaines familles ne pouvaient pas refuser les charges auxquelles ils étaient élus. On peut ici toucher du doigt l'équivalence étymologique suggérée par certains auteurs latins de onus (charge) et honos/honor (honneur).

8) Nos ancêtres, très procéduriers et très jaloux de leurs privilèges, n'hésitaient pas à engager des recours voire des procès contre les empiétements des fonctionnaires féodaux ou comtaux et les documents que nous possédons prouvent qu'ils étaient le plus souvent la partie gagnante : c'est d'ailleurs grâce à ces recours que nous possédons autant de documents sur le droit de porter une épée, nommée couteau pour en minimiser la portée. De nos jours, les municipalités complaisantes se couchent devant des services préfectoraux qui violent la loi sous couvert de l'appliquer : si elles avaient conservé cette habitude de se rebeller face à l'injustice, la démocratie et la confiance dans les élus ne seraient pas abîmées à ce point.

9) Pour la ville de Nice, nous avons le témoignage que, dès la première moitié du XV° siècle, les habitants étaient répartis en quatre classes : les nobles, les marchands, les artisans et les cultivateurs, chaque classe disposant d'un nombre égal de représentants aux conseils (4x10 pour le Grand Conseil des quarante et 4x2 pour le Conseil des huit). L'union des classes - à laquelle le peuple trouvait une utilité - ne nécessitait pas alors la présence d'un homme providentiel (Führer, Duce, Caudillo).

On comprend mieux que, dans ces conditions, les citoyens aient été beaucoup plus motivés à se rendre sur la place du village ou dans l'église en cas de pluie pour décider de leur avenir proche (un an) et préciser à leurs représentants ce que les technos nomment aujourd'hui une feuille de route. Cette contrainte régulière ne leur paraissait pas insupportable ! Dans les conditions actuelles, je vois mal comment on pourrait rendre le vote obligatoire et surtout quels procédés on pourrait utiliser. Nous connaissons tous des villes qui organisent des "rafles" dans les maisons de retraite pour emmener les pensionnaires voter notamment lors des municipales : est-ce bien ce que nous voulons ?

À moins que le vote ne puisse plus être qu'électronique avec, à la clé, coupure-sanction d'internet pour ceux qui ne voteraient pas ?

Mefi! Big Brother is watching you!

 

Bernard FRUCHIER

Tag(s) : #Tribune libre
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