Montségur 2016
Ceux qui sont morts ici, il y a 772 ans, ne demandaient rien de plus que le droit d'exister pour ce qu'ils étaient, de penser à leur manière, de vivre leur foi sans contrainte, et cela, sur un terreau de paix et de respect des autres.
Mais cela était encore trop. Comme cela est encore trop aujourd'hui pour ceux qui ne se veulent pas les serviteurs muets des pouvoirs en place (économique – financier – politique – médiatique), ou de la pensée unique érigée en pensée officielle.
Depuis 1244 on a accéléré le temps et nous sommes sommés de courir après lui. Mais seuls les premiers seront considérés. Malheur à ceux qui boitent. Les moyens d'information aussi se sont démultipliés à l'infini. Tout arrive, tout passe ; rien de tel pour empêcher le germe d'une réflexion autonome. Alors les mots fusent, vidés de leur sens, tels que communautarisme, intégrisme, république, identité, martyre, utilisés à tort et à travers. À tort surtout, pour étouffer le débat de fond, éviter les remises en question essentielles. "Martyre", ici ce mot retrouve son sens. Et puis il y a les mots édulcorés ou omis ; guerre (économique ou culturelle), guerre qui reste la domination de l'homme par l'homme. Démagogie ; populiste certes, mais surtout électorale. Délation ; la loi ne va t-elle pas inciter les citoyens à dénoncer leur voisin au fisc ?
Montségur sait où ces chemins boueux ont conduit les hommes. Oublié 39-45. Intelligence ; notre société se pâme devant les intelligences virtuelles et artificielles et ne sait plus reconnaître l'intelligence humaine.
À Montségur, on a brûlé des corps ; mais c'est l'esprit qui les habitait qui a fait peur. Hier comme aujourd'hui, tout ce qui ne s'inscrit pas dans le dogme officiel est jugé subversif. Qu'avons nous à dire de la liberté? Ici, en ce lieu inspiré, en communion avec les bonshommes, nous pouvons peut-être construire une réflexion propre. Car, peut-il y avoir liberté sans autonomie ?
As vencit Montsegur, mas, a jamai landraire,
As perdut lo camin secret de Montsegur.
El sol te menarà cap a l'asur salvaire,
Mas ton anma, a jamai patirà dins l'escur.
Loisa Paulin
Montségur fut assiégé par le sénéchal du roi de France. Les comtes avaient perdu la guerre. Dans la guerre, ce n'est pas le droit et la justice qui triomphent, c'est le plus puissant. Hier ce fut le roi de France. Alors l'unité dans l'uniformité, l'indivisibilité dans l'assujettissement, sont devenus leur loi fondamentale sacrée.
Mais demain, comment bâtir un monde apaisé sur de telles fondations ? Hélas, pour le moment, pour tenter d'éliminer les différences, les bûchers se multiplient dans le monde. Notre langue, notre culture, nos croyances, notre pensée sont parties constitutives de notre être. Les dire accessoires ou subalternes, est humiliant et cruel, comme il fut cruel et abject de brûler les bonshommes pour ce qu'ils étaient.
Aujourd'hui, il ne saurait être une consolation de voir que le rapport des puissants change. Si l'Amérique du Nord concentre et impose son pouvoir technologique, économique, militaire et nous assène sa culture, sa langue et son modèle social, cela ne peut que conforter notre volonté de lutter contre tous les impérialismes. Et si nous sommes ici, c'est que nous savons que nous le devons à Ramonda Barba, Joan de la Garda, Bruna de la Milha, Esclarmonda de Perelha, Pèire Sivent, et les autres.
Ainsi, le printemps de Montségur nous rappelle que ce n'est pas le roi de France qui est notre avenir, mais la capacité authentique et déterminée que nous avons à nous vouloir vivants.
Coma disiá lo cantaire :
Cinc cents èretz a Montsegur
Sabent çò que viure vòl dire.
Òc ! viure dreches e sens paur. Visca (e aquí cal mesurar lo pes del mot), visca los òmes d'aquesta tèrra !
Visca Occitània !
Jacme Pince, lo 20 de març de 2016