À propos du nouveau sens attribué au mot « séparatisme »

« Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive. » Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, p. 487.

Depuis plusieurs décennies, une multitude de néologismes sont utilisés pour désigner, de manière plus ou moins explicite, des réalités aux contours toujours plus flous. Les mots piégés employés dans le milieu politico-médiatique s'apparentent à un mirage dans le désert. Ils semblent correspondre à la réalité, mais en y regardant de plus près, ils se révèlent finalement comme des bulles de savon ! De l’enfumage, toujours de l’enfumage, rien que de l’enfumage ! Il paraît donc nécessaire pour la salubrité mentale d’y voir un peu plus clair à propos de certains « concepts » actuels. Aujourd’hui des concepts comme « islamophobie » ou « séparatisme » continuent à faire l’objet en France de débats sémantiques plus ou moins houleux. En fait, c’est une véritable guerre qui est conduite avec ces mots pour manipuler les gens et disqualifier des individus et des groupes parfaitement ciblés.

* * * Le « concept » d’islamophobie est souvent mis en avant par les islamistes ou des individus proches de leur idéologie mortifère afin d’assimiler toute personne les dénonçant à des racistes invétérés. Ce terme très utile en victimologie, a pour fonction d’interdire toute réflexion sur la nature et sur les conséquences de la religion mahométane. Devant les méfaits du terrorisme et de l’islam politique, exiger de ne pas la critiquer et de ne pas voir ses implications dramatiques n’a aucun fondement rationnel. Jusqu’à quand l’utilisation de ce foireux concept durera-t-elle encore longtemps sans provoquer de saines réactions d’indignation ?

* * * Autre concept litigieux, le terme « séparatisme » avec un nouveau contenu sémantique se diffuse à présent dans les médias, mais aussi s’incarne dans la législation. En février 2021, l’Assemblée nationale a voté une loi confortant le respect des principes de la République, loi dite « Séparatisme ». Elle comporte un ensemble de mesures visant à éradiquer certains éléments socio-culturels étrangers aux mœurs françaises et européennes (polygamie, certificats de virginité, surveillance de l’instruction à domicile, contrôle des associations). Jusqu’à une époque récente, le mot « séparatisme » désignait l’attitude d’un groupe d'individus unis par un certain caractère et en une zone géographique déterminée, de se détacher du reste du reste de la population d’un État auquel il appartient. Depuis peu, ce terme est employé dans l’Hexagone pour indiquer sinon pour dénoncer la volonté d’une minorité, en l’occurrence religieuse (musulmane), de placer ses propres lois au-dessus de la législation nationale. C’est bien sûr un artifice utilisé pour tromper sciemment les gens et leur faire accepter les objectifs du pouvoir. Chaque mot cache en son sein de multiples sens pouvant suggérer toujours plus et déclenchant inconsciemment chez ceux qui l’écoutent diverses représentations.

Deux observations s’avèrent intéressantes à propos du nouveau sens attribué au mot « séparatisme » :

 Toute affirmation est aussi une négation. En réservant le terme à la communauté musulmane, le pouvoir suggère qu’il n’existerait pas de mouvements indépendantistes à la périphérie de l’Hexagone et dans les régions d’outre-mer, ce qui constitue à l’évidence une piteuse contre-vérité, une interprétation déformée de l'histoire et de l’actualité. Pour ce qui concerne l’extension de la culture et des mœurs musulmane en France, ne serait-il pas plus judicieux de parler d’imposition culturelle colonialiste plutôt que de séparatisme ?

 Utiliser le terme « séparatisme », c’est aussi une manière d’inclure subrepticement les musulmans dans la communauté occidentale et française en particulier. L’islam constitue une civilisation bien différente de la nôtre pour ne pas dire antagoniste. Dans les années 1990, le spécialiste en science politique Samuel Huntington avait introduit le concept d’un « choc des civilisations » opposant l’islam au reste du monde, et particulièrement à l’Occident. À l’évidence, il s’agit aussi en l’occurrence de nier la question des tensions entre blocs civilisationnels. L’accueil d’un nombre considérable d’individus issus de cultures différentes ne peut se faire sans nuisances. Nous le constatons tous les jours.

* * * Benjamin Morel, maître de conférences en droit public (à Assas, bastion jacobin réputé), viens de mettre les pieds dans le plat ! Le 2 février 2023 il a publié aux éditions du Cerf La France en miettes. Régionalismes, l’autre séparatisme. Le seul intérêt de la thèse de l’auteur, c’est d’aller totalement à l’encontre du discours dominant sur le thème. Morel considère qu’un double péril menacerait à présent l’Europe et la France en particulier : le communautarisme musulman bien sûr, aussi l’ethno-régionalisme. Les mouvements régionalistes en France et en Europe représenteraient ainsi de son point de vue un danger considérable. Le gouvernement français, bien conscient du péril islamiste, sous-estimerait largement celui des mouvements régionalistes. Ces derniers participeraient ainsi à la décomposition de la nation française. « La France est en voie d'éclatement », rien moins que ça ! Depuis les années 70 et 80, divers ouvrages ont exploité le même filon, les mêmes inquiétudes et le même refus obstiné d’évolution du régime. Proche de Jean-Pierre Chevènement, l’hibernatus de la politique, Morel représente à présent une figure du jacobinisme décomplexé et anachronique…

* * * Les mensonges du discours d'État sont de plus en plus répandus dans notre société. Certains mots constituent parfois un moyen d’emprise redoutable sur les individus. Ils s’avèrent être à l’occasion de redoutables armes de manipulation. Tout dépend du sens qu’on leur donne et de l’intention de celui ou qui les utilise et qui entend interpréter le réel à sa guise. Cet article en est un exemple significatif, bien qu’il ne prétende pas divulguer toutes les pratiques sournoises et insidieuses du glissement sémantique, de l’euphémisation et des éléments de langages auxquels la communication politique nous habituent et changent progressivement notre perception du monde. Il importe de ne pas nous laisser manipuler, mais plutôt travailler ensemble pour créer une société équitable grâce au pouvoir de notre savoir collectif. Pour ce faire, nous devons rester vigilants et informés afin de ne pas être dupes. Pour atteindre la vérité, nous devons regarder au-delà du discours étatique et tirer le meilleur parti des ressources disponibles afin d’obtenir les informations les plus précises possibles.

Joan-Pere Pujol, 14 février 2023.