Les événements tragiques du 13 novembre 2015 à Paris ont entraîné des réactions des sòcis du Partit de la Nacion Occitana et notamment une discussion fort intéressante sur sa liste Internet. Pour ma part, j'ai préféré prendre le temps de réfléchir posément et en pesant mes mots.
1) Il est tout à fait juste - et primordial - d'avoir une pensée émue pour les victimes, comme nous en avons pour toutes les autres et dans toutes les circonstances : pas seulement attentats, mais aussi guerres ou catastrophes "naturelles"; pas seulement en France, mais partout dans le monde car tous les hommes sont nos frères. C'est effectivement le temps - incompressible - de la compassion.
2) Mais, dès que vient le temps de la réflexion (qui d'ailleurs chevauche en partie le précédent), nous devons affirmer que l'unité nationale invoquée par les politiques n'a pas de sens pour nous : en tant que citoyens français malgré nous, la seule unité nationale que nous reconnaissons est celle de l'Occitanie, ce qui n'empêche pas les citoyens de se serrer les coudes, mais pas à n'importe quel prix.
3) La première réaction, piège dans lequel nous ne tomberons pas, celle des soutiens du terrorisme, consiste à culpabiliser les victimes ( du type : "les journalistes de Charlie l'ont bien cherché") et à les rendre responsables de leur malheur. On ne peut pourtant évacuer trop rapidement cet argument qui est le fondement même du terrorisme aveugle : dans un pays démocratique, les électeurs sont responsables des choix politiques de leurs élus. Ce sont les risques de la démocratie parlementaire, mais aussi, reconnaissons-le, de la démocratie directe. Il n'est donc pas en soi illégitime de se tourner vers les politiques pour leur demander des comptes, quitte à remonter assez loin dans le temps, non pas pour obtenir une condamnation des personnes mais bien plutôt pour chercher à corriger les erreurs d'analyse.
4) Nous autres, ethnistes occitans, sommes donc tentés de mettre en cause, dans cette affaire, l'impérialisme de l'état français. Seulement cette accusation, exprimée de façon trop schématique et simplificatrice, risque non seulement de choquer inutilement mais surtout d'être rejetée par tout le monde, même par des ethnistes affirmés comme le montre le débat entre nos camarades. Il va donc falloir préciser ce que nous entendons par impérialisme.
5) Il a existé un colonialisme français en Amérique, en Afrique ou en Asie, mais la décolonisation est venue régler le problème... sauf dans l'hexagone sur lequel règne une république "une et indivisible" comme la Sainte Trinité. Nous sommes tout à fait fondés à nous estimer colonisés et à voir dans la devise Liberté, Égalité, Fraternité, qui correspond pourtant aux aspirations millénaires de notre peuple occitan, un simple slogan jamais appliqué dans les faits.
6) Si l'accusation d'exploitation capitaliste du monde arabo-musulman est un peu rapide (et partiellement fausse car bien des états se sont enrichis dans la vente du pétrole), on ne peut pourtant rejeter les intérêts économiques plus généraux qui ont été la cause de l'opération de Suez, par exemple, dont les conséquences géopolitiques ont été catastrophiques. Et que dire de la chute de Mossadegh ? Il y a longtemps que des analystes dénoncent une recolonisation dans les rapports des occidentaux avec le reste du monde.
7) Certes, le terme capitalisme (mais aussi celui de classe) ne plaît pas à certains de nos camarades. C'était pourtant un élément fondamental de l'analyse fontanienne et il m'arrive de trouver les principes ethnistes trahis par des propos pas toujours justifiés, notamment le fameux ni-ni. Certains embarras du PNO dans la campagne électorale actuelle (à laquelle je ne participe pas car j'ignore totalement la situation dans l'Ouest occitan) sont la preuve que le PNO manque d'une doctrine sociale cohérente, ainsi d'ailleurs que d'un corpus écologiste. Nous pourrions être un état modèle et pilote en matière d'énergies vertes. Nous manquons aussi d'une doctrine cohérente sur les barrages et nous ne mettons plus en avant notre front socio-affectif. Ne nous étonnons pas alors si nous ne pouvons pas faire adhérer de jeunes, passant, comme BASTIR, pour des soutiens de la langue uniquement, ignorants des problèmes sociaux et sociétaux.
8) Si la république jacobine française a une responsabilité dans les souffrances de l'humanité, c'est parce qu'elle cherche à imposer aux peuples sa conception de l'état-nation, conception forgée pour un usage intérieur, dans le but de poursuivre la soumission imposée aux peuples allogènes par le pouvoir capétien. Effectivement, comme il a été soutenu dans la discussion, le Mali n'a aucun fondement ethnique, juste la volonté des colonisateurs qui l'ont dessiné sur la carte, et la France n'a pas tort de considérer qu'elle a une responsabilité morale dans sa situation actuelle et donc le devoir d'intervenir militairement dans son ancienne colonie. Toutefois son action vise seulement à sauvegarder un état pluri-ethnique condamné à l'éclatement.
9) Les interventions militaires post-coloniales posent évidemment problème, ce qui ne veut pas dire que l'on ne puisse aider un peuple attaqué par un autre : les alliances entre états sont l'un des fondements de l'ordre international et, si nous croyons en la possibilité d'une indépendance de l'Occitanie, nous avons le droit - et le devoir - de nous interroger sur ce que serait sa politique étrangère. J'espère que nous connaissons déjà tous la réponse : soutenir la mise en adéquation entre nations et états et donc aider à la libération et à l'indépendance des ethnies.
10) Ainsi la faute de la république jacobine française est double :
- avoir maintenu l'unité artificielle et coloniale mise en place par les capétiens au prix d'un refus de toute démocratie véritable (exécution des fédéralistes, centralisme effréné, lutte contre les particularismes locaux, escòla de la vergonha, etc.); n'oublions pas que la terreur est une invention de cette "république";
- avoir cherché à imposer ce "modèle" aux autres peuples, dans l'espoir que l'existence d'un état suffirait à créer une nation de toutes pièces, ce qui, là aussi, perpétue les rapports impérialistes.
Si l'erreur est humaine et pardonnable, il est diabolique, comme aimaient nous le rappeler les inquisiteurs, de persévérer dans cette même erreur. Or les échecs patents de cette conception perverse de l'état-nation n'ont pas conduit les jacobins à s'interroger sur la validité de leur théorie.
11) Les peuples de l'hexagone, placés dans l'insécurité quant à leurs droits nationaux, sont devenus incapables d'intégrer les nouveaux arrivants (alors que le País Niçard a accueilli sans problème quantité d'immigrés italiens ou arméniens à l'heureuse époque où nos dialectes occitans fournissaient le principal outil de cette intégration; idem en Gascogne et en Languedoc avec les réfugiés espagnols). Le pouvoir, confronté à des réactions hostiles, n'a plus d'autre solution que de choisir une attitude moralisatrice et de condamner une prétendue "beaufitude", caractéristique de la populace au point que toute défense des intérêts du peuple devient aux yeux des bobos honteux populisme, de même que l'amour de ses racines est déformé en communautarisme pervers. Les pays qui intègrent le mieux sont ceux qui n'exigent pas de leurs peuples ce renoncement à leurs particularismes.
12) Lors d'une émission récente, Mélenchon (qui a, par ailleurs, exposé de grandes vérités) a affirmé que la France ne se définissait
- ni par une couleur de peau (c'est ce que nous soutenons),
- ni par une religion (c'est ce que nous ne cessons de répéter - et nous depuis toujours qui prônions la laïcité dès l'époque de la croisade contre les Albigeois),
- ni par une langue (c'est là qu'il a tort),
- mais par sa vocation universaliste !
Voilà tout le problème que certains ne veulent pas prendre en considération : il existe pour nous une ethnie française qui se joue des frontières étatiques et qui englobe la Wallonie, la Suisse française, le Val d'Aoste, le Québec. Il existe de même des ethnies Basque, Bretonne, Flamande, Occitane, Catalane, Corse/Sarde, Berbère, Kurde, Tibétaine, etc. S'il suffit de se reconnaître dans la devise Liberté, Égalité, Fraternité pour être français, la nationalité n'a plus aucun sens... surtout quand la France est le premier pays à refuser d'appliquer ces principes dans les faits.
13) Nous allons, pour nos propos politiquement incorrects, nous faire traiter d'ennemis de la république par des gens qui n'hésitent pas à tout amalgamer. Soyons prêts à répondre.
- Nous sommes des démocrates depuis toujours : nos communes médiévales ont été parmi les premières à se libérer.
- Nous ne pouvons être monarchistes car la royauté française nous a fait trop de mal : nous sommes donc des républicains comme l'affirmaient d'ailleurs souvent nos anciens statuts municipaux.
- Oui, nous sommes des ennemis de le république jacobine qui a guillotiné les girondins et chanté : "Mort aux fédéralistes".
- Oui, nous sommes des ennemis de la V° république qui n'est qu'une monarchie déguisée.
- Et alors ? Qui est le plus démocrate ? Le peuple qui rejette le traité européen ou les "élites" qui l'imposent? Ceux qui affirment que toutes les langues ont la même valeur ou ceux qui croient en la supériorité de leur culture ? Les colons imbus de leur "supériorité culturelle" ou les colonisés infantilisés et traités comme des sous-hommes ?
14) Ceux qui soutiennent la fameuse union nationale le font en chantant la marseillaise, sans s'apercevoir que le vers sur le sang impur est précisément la devise des islamistes (la TV nous a d'ailleurs montré, tout récemment encore l'application de ce principe dans la traction des cadavres ensanglantés parmi les sillons). Quel aveuglement! Et dire que des "historiens" transpirent pour tenter d'expliquer par de faux arguments cette expression autrement qu'elle ne fut comprise à l'époque et appliquée par exemple dans la guerre de Vendée!
15) Le rôle de l'Europe ne peut être laissé de côté car il intervient sur deux points fondamentaux :
- maîtriser l'immigration,
- organiser l'intégration.
Si les frontières de l'Europe étaient convenablement surveillées, il ne serait nul besoin de remettre des barrières entre les états, mais aussi il serait possible de filtrer et d'orienter les vrais réfugiés vers les pays où ils seraient plus capables de s'intégrer, pour des raisons familiales ou linguistiques.
La politique de l'Allemagne a été prise en défaut à au moins deux reprises : une première fois en créant un appel d'air d'une façon totalement irresponsable, une seconde fois en discutant avec l'autocrate Erdogan, l'un des soutiens de l'état islamique et grand ennemi des Kurdes.
Nous autres Niçards nous enorgueillissons d'être les seuls en France à posséder une rue de Lépante, preuve tangible que nous avons participé à cette lutte contre l'invasion turque soutenue par Louis XIV.
16) Pour ce qui est de l'Islam, il faut certes éviter les amalgames, mais aussi prendre en compte un certain nombre de réalités/vérités.
- Toutes nos religions du Livre (mais aussi beaucoup d'autres) ne se sont pas gênées pour appeler à la violence et à la guerre (parfois sainte).
- Par la suite, chacune d'elles a connu des périodes d'ouverture voire de lumières, dans la mesure où elles se sont éloignées de la lecture littérale des textes. J'ai déjà parlé en d'autres occasions des scolastiques arabo-musulmane, juive et chrétienne.
- Le Coran contient beaucoup d'appels à la guerre et à l'extermination : il est de la responsabilité des élites musulmanes (pas seulement religieuses) d'en transformer/déformer (hypocritement ?) l'interprétation.
- Ce sera toutefois difficile par manque de hiérarchie religieuse musulmane, ce qui empêche toute excommunication : seules existent des fatâwâ qui peuvent parfois se contredire et qui ne sont applicables que pour ceux (individus ou états) qui se soumettent à la charia.
L'islamophobie est, par définition, une peur : ceux qui cherchent à terroriser leurs ennemis sont donc bien les premiers responsables de cette peur. et il faut cesser d'y voir un signe de "beaufisation" avancée.
Bernard Fruchier
17 novembre 2015