Cette année, comme tous les ans, se sont déroulées deux commémorations pour honorer les victimes du bûcher de Montségur qui, le 16 mars 1244, fit plus de deux cents victimes. L’une se déroule tous les 16 mars quel que soit le jour de la semaine, tandis que la seconde de déroule systématiquement le premier dimanche après le 16 mars. Pour permettre à ceux qui travaillent ou qui viennent de loin de pouvoir y participer. Celle-ci est organisée par l’association citoyenne « Occitania libertat » animée par notre ami le Docteur Jacme Pince et est soutenue par notre parti. Cette année elle se déroula le 20 mars par une belle journée printanière, ce qui n’est pas toujours le cas et les habitués se rappelleront que l’an passé il neigeait.
Comme il est maintenant de tradition, nous vous proposons l’allocution solennelle et émouvante prononcée par Jacques Pince au pied du monument consacré aux victimes de Montségur. Prise de parole suivie, comme il se doit, d’un dépôt de fleurs et d’une minute de silence.
Cars Amics, Bonjorn !
Montségur nous voici. Dans les tourments de la vie, dans le tourbillon du monde, sur la scène du grand théâtre, dans les doutes qui nous harcèlent, il est essentiel pour nous d’être là, à l’écoute de ton message. D’êtres là, ensemble, 778 ans après, dans l’esprit des Bons Hommes et des Bonnes Femmes, et grâce à eux, vivants.
Prenons le temps, arrêtons-nous un peu, et, dans le silence des absolues communions, regardons une fois encore, le miroir de notre humanité. Que notre silence ne soit pas vide, mais peuplé des martyres de Montségur, peuplé des martyres d’aujourd’hui ; en Chine (Tibet et Ouigours), en Amérique, en Afrique, en Ukraine, en Arabie Saoudite (81 exécutions récentes pour entre autres choses « croyances déviantes » dans un silence médiatique assourdissant), en Birmanie et ailleurs…
Nous pouvons penser aussi à nos amis catalans toujours en exil pour délit d’opinion, aux Corses contraints de lever le ton pour être entendus et enfin obtenir ce qui, soi-disant, était impossible toutes ces dernières années.
Je voudrais citer aussi (mais la liste n’est pas exhaustive) le père Marcelo Perez, prêtre d’origine maya, actuellement menacé de mort pour défendre le droit des peuples autochtones du Chiapas (Mexique).
Tous victimes des prétendues raisons d’État, des orgueils tout-puissants, des orgueils des tout puissants ; victimes que certains voudraient jeter dans les fosses de l’oubli d’une histoire réécrite.
Amis, un instant, faisons silence et que le vent emporte vers le monde les images prophétiques de l’humanité, ici blessée, afin que ce monde reste vigilant et qu’il ne cesse pas de demander des comptes.
Dans un monde du relatif, du productif, de l’individu, on voudrait nous faire croire que plus rien n’a de réalité vraie et que nos chemins n’ont plus de destinée. Les unes après les autres, ils ont éteint nos sources lumineuses pour mieux nous effacer. Et pourtant, quand il y a huit siècles, plus de deux cents personnes sont montées volontairement sur le bûcher, ici, sur cette terre, une conscience collective est née et a tissé un ruban d’espoir dont nous ne faisons aujourd’hui que tenir l’extrémité et la transmettre.
Bons Hommes et Bonnes Femmes nous parlent toujours de liberté, de conscience autonome, d’indépendance solidaire, d’attention respectueuse de l’autre.
Et si cela ne devait pas avoir de sens, c’est que l’on veut nous condamner au désespoir ;
Si cela n’a pas de sens, c’est qu’ils s’en tiennent à la loi du plus fort ;
Si cela n’a pas de sens, c’est que le monde est vain, qu’il n’est qu’un amas d’atomes dans un chaos tragique.
Mais regardons autour de nous, dans une sublime persévérance les bourgeons s’ouvrent à nouveau au printemps comme un présage renouvelé, comme une invitation à rester debout.
Je voudrais ici lire l’invocation contenue dans la prière dite « cathare », texte rare, composite, recueilli par Renat Nelli : « Père Saint, Dieu juste des bons esprits, toi qui jamais ne te trompes, ni ne mens, ni ne doutes, … donnes nous à connaître ce que tu connais et à aimer ce que tu aimes ».
Amis, que vous vous adressiez à Dieu, ou pas, nous sommes dans l’instant, dans le monde et nous pouvons comprendre que l’amour ici invoqué devra éteindre tous les bûchers encore allumés ; que tous les despotismes, les colonialismes, les impérialismes (politiques et culturels), les racismes, les génocides, les cynismes, aussi florissants qu’ils puissent être, devront bien finir un jour par s’éteindre.
Nous en faisons témoignage aujourd’hui, comme les Bons Hommes et les Bonnes Femmes en ont fait témoignage en leur temps. Et aussi longue soit-elle, notre route est la même.
En Occitanie tout a commencé par de la poésie. La poésie est un absolu de la pensée et du langage qui rejoint aisément l’absolu de ce lieu tragique. Il n’est pas étonnant que Montségur ait pu inspirer tant de poètes et hommes de bonne volonté.
Al Prat
Quand un soir de printemps qu’ici plus rien ne bouge
Que la brise de l’accent qui caresse mon cœur,
De mes mains coule un sang comme un espoir rouge,
Comme une vie jaillie des dernières lueurs.
Qui suis-je pour oser, oh Bonshommes d’amour,
Labourer cette terre des cendres éphémères,
Et semer quelques graines et planter à mon tour,
Les projets éperdus des lendemains d’hiver ?
Buvons de l’eau qui court hors des puits asséchés,
Hors des ventres affamés repaissons-nous de gloire,
Que la peur dans vos yeux et les larmes arrachées,
Nourrissent à tout jamais, nos faydites mémoires.
Nous délierons nos langues, amis des jours funestes,
Nous chanterons la joie de votre renaissance,
Et ensemble allons ! Et que personne ne reste
Au bord du chemin creux des noires déshérences.
Jacme Pince,
Montségur le 20 mars 2022.
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Prises de parole à Montségur